Meneur des éditions précédentes, je n’attendais pas cette édition avec une hâte particulière étant donné mon à-priori négatif sur le changement de système. J’ai néanmoins pris le soin de lire la bête et voici un retour de lecture. Il s’adressera principalement à ceux qui connaissent les éditions précédentes (pour les nouveaux venus, sachez que le background dans ce livre est assez limité, il faudra donc songer à acquérir « L’Empire d’Emeraude », déjà annoncé – ou alors d’anciens suppléments de contexte).
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L’ouvrage
Très beau, doté d’une maquette claire et mêlant des illustrations en couleur (dans la continuité des éditions précédentes) avec quelques estampes du plus bel effet, par exemple lors de la présentation succincte de quelques Fortunes.
J’apprécie également énormément le souci de clarté dans la pagination : les sections nouvelles commencent en début de page et on a pris grand soin de garder un découpage harmonieux lorsqu’on change de sujet ou de section.
Du très beau et très pratique, il est facile de s’orienter dans les 8 chapitres du livre après une première lecture. En revanche, pas de fiche de personnage, ni de scénario… étrange.
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Les dés et la mécanique
La mécanique de base est inspirée du Roll & Keep : o
n jette un nombre de dés égal à Anneau + Compétences appropriées et on peut en garder un maximum égal à Anneaux. Il y a cependant deux différences principales :
- D’une part, les dés fournis par les Anneaux sont différents de ceux des compétences et que tous ont des faces avec soit 1 symbole, soit 2 symboles, soit une face blanche – sachant qu’il y a en tout 4 symboles différents (3 positifs et 1 négatif).
Cette idée est au final une bonne surprise. D’abord sceptique, je dois admettre que les 4 symboles sont finalement assez faciles à retenir : un Succès simple, un Succès explosif (équivalent du « 10 explosif », il permet de rejeter un dé et le garder en plus du premier), et une Opportunité (un droit d’ajout narratif ou mécanique qui n’est cependant pas un succès). L’unique symbole négatif est le Strife, qui simule l’accumulation de tension émotionnelle du samurai qui pourra amener le personnage à donner priorité à ses besoins émotionnels au détriment du bushido. Ce que je trouve particulièrement bien pensé c’est que le Strife n’est jamais seul, il est toujours associé à l’un des 3 autres symboles et que cela force le joueur à faire un choix : garder ce succès malgré le strife qui y est rattaché ou l’ignorer ? A la lecture cela évoque tout de suite des choix cornéliens !
- D’autre part les Anneaux ne sont plus des caractéristiques, mais des approches – on peut donc choisir virtuellement n’importe quel anneau pour une action déterminée, tant qu’il est thématiquement en lien avec l’approche choisie : la création d’un objet d’artisanat fera appel au feu alors que sa réparation fera appel à la Terre, par exemple. Les possibilités sont multiples et le meneur est encouragé à adapter la difficulté et l’interprétation de l’échec en fonction de l’approche choisie. Je suis moins enthousiaste sur ce point. Certes, cela permet d’éviter d'avoir une caractéristique que tout le monde développe (Agilité au hasard) et ça fonctionne plutôt bien dans d’autres jeux comme Fate accéléré. En revanche, l’implémentation avec des Anneaux me laisse un peu perplexe : le coté freeform risque de dévier vers de longues discussions sur l’interprétation qui à mon avis ne facilite pas la tâche – sans compter que le MJ est censé adapter à la volée le seuil de difficulté en fonction de l’anneau choisi. Il y a plus loin dans le livre d’autres passages qui semblent vouloir relier à tout prix tout à ces cinq anneaux, même lorsque cela ne fait qu’alourdir le tout. A tester.
La description des mécanismes ludiques s’alourdit assez rapidement : il est bien entendu possible de garder moins de dés que son maximum si les dés restant ne sont pas appropriés, mais ce n’est pas tout. Il existe des mécaniques de relance de dés grâce à des « avantages », des obligations de relancer des dés favorables à cause d’« adversités » et une foultitude d’autres mécaniques permettant de réserver des dés d’un jet à l’autre, de les placer directement sur une face déterminée, etc…
Toutes les possibilités sont exploitées, au risque d’alourdir le tout - ça peut rendre le jeu plus intéressant, ou plus lent - suivant la sensibilité de votre groupe.
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La création de personnage
Le jeu des 20 questions est toujours là, mais il n’est plus accessoire : il s’agit ici de répondre à des q
uestions qui établiront à la fois l’identité du personnage mais également ses valeurs dans les anneaux et compétences au fur et à mesure. Au contraire des éditions précédentes, il n'y a plus de point à répartir librement. On notera également un certain nombre de questions où on peut choisir entre privilégier une caractéristique type Honneur, Gloire ou être un "mauvais samurai" et préférer un point de compétence supplémentaire en faisant preuve d'une certaine défiance envers le dogme.
La longue liste d’avantages/désavantages est toujours là, j’avoue ne pas en être fan donc j’ai passé la section rapidement – chaque entrée a en général un élément narratif (« vous ne pouvez pas refuser une chance de faire progresser votre gloire ») et un élément mécanique (« recevez 3 strifes après un check avant de vous préparer à la bataille »).
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Les compétences
Belle refonte pour les compétences qui sont
délimitées en cinq groupes (artisanat, combat, connaissance, social, commerce). Les fiches de PNJ n’utilisent que les groupes ce qui permet une simplification bienvenue pour les bloc de statistique des PNJs. Pour les PJ ça reste tout de même raisonnable car
chaque groupe ne contient qu’environ 5 compétences, on évite donc la liste interminable - c'est plutôt bien maîtrisé. Chaque groupe de compétence explique l’usage des cinq anneaux pour aider à clarifier les approches, mais certains sont plus évidents que d'autres.
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Les techniques
Le traitement réservé aux techniques d’école est une excellente surprise avec refonte totale des techniques en 7 catégories. On y trouve:
- les Kata: qui regroupe les anciennes techniques d’école de bushi. Les anciens "kata" à préparer le matin n'existent plus, ce qui est une bonne chose à mon sens.
- les Kiho: pouvoir de moines, limité à un seul pouvoir actif à la fois pour éviter les abus
- les Invocations: qui constituent les sorts de shugenja
- les Rituels: qui ne sont pas réservé au shugenja et comprennent l'usage des rites habituels comme par exemple la purification – technique qui a maintenant un effet mécanique indispensable après un combat contre l’outremonde
- les Shuji: regroupant les anciennes techniques d’école de courtisan
- la Maho: magie du sang utilisée par les antagonistes et l'outremonde
- le Ninjutsu: qui n’existe pas, soyons clair.
Deux grandes avancées sont à noter :
- Chaque école donne accès à trois des catégories. Un bushi aura en général accès aux Rituels, Kata et Shuji . On voit même que l’école Kuni du Crabe donne accès aux techniques de bushi ET aux invocations de shugenja (une première il me semble - même si l'option était évoquée dans une édition précédente!)
- Mis à part la technique de départ de chaque école et la technique ultime de rang 6, toutes les techniques sont accessibles à tous les personnages (il y a de rares exceptions pour les techniques liées aux kamis fondateurs d'un clan). On ne suit donc plus un « cursus » forcé, et tous les personnages ont accès à un pool d'évolution quasi-identique.
Pour la progression des personnages dans leur école, la solution est assez élégante : fini de compter ses rangs d’anneaux, il suffit maintenant de voir si la technique ou la compétence développée est dans la liste de l’école pour ce rang. Si c’est le cas, chaque XP dépensé compte également comme un XP de progression (il faut par exemple 20 XP pour passer du Rang 1 au Rang 2). Dans le cas contraire, les XPs dépensés ne contribuent qu’à moitié à la progression. Un personnage fidèle à la lettre aux préceptes de son école passera au Rang 2 avec 20 XP alors qu’un autre piochant uniquement en dehors aura besoin de 40 XP avant de pouvoir progresser.
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La résolution des conflits :
On distingue 4 types de conflit : les
intrigues sociales, les
escarmouches, les
duels ainsi que les
batailles de masse. C’est le chapitre sur lequel j’avais beaucoup d’attentes et
qui m’a le plus déçu à la lecture.
Pourquoi ? Jusqu’à présent tout ce qui a été présenté allait dans le bon sens : une refonte des règles avec de très bonnes idées et des dés qui peuvent potentiellement créer du jeu et du drama. Alors j’espérais des règles de combat rapides et basées sur des oppositions et des enchères, ainsi que sur le choix d’utiliser un dé plutôt qu’un autre.
Mais les règles d’escarmouche ça ressemble plutôt à ça (je ne parle ici que de la mécanique de base, gardez à l’esprit qu’entre les avantages/désavantages/techniques et autre il se passe des choses autour):
- Le jet d’attaque se fait contre un seuil statique de 2 (pas de jet de défense, ni opposé).
- Si le coup porte, il inflige des dégâts – par exemple 4 est une valeur fixe pour un katana – auquel on soustrait la valeur d'armure et on rajoute les éventuels succès supplémentaires. Le restant va infliger des points de fatigue qui vont remplir la jauge d'endurance (disons une endurance moyenne de 8 par personnage sur la base de [Terre+Feu]x2). Ces points de fatigue sont à l'instar de D&D une abstraction représentant l'épuisement au cours du combat, mais aucune blessure réelle n'est infligée à ce stade. Un personnage sans armure pourra donc encaisser en moyenne deux coups sans se voir blessé, et si il porte une armure d'Ashigaru (protection 3) alors il pourra même en encaisser 8. A noter que si le coup réussi avec deux Opportunités, alors on passe directement à l'étape du coup critique (voir plus bas).
- Lorsque l’endurance est dépassée alors le coup suivant porté sera un coup critique. Les coups critiques font appel à une autre caractéristique des armes (la mortalité - qui est de 5 pour un katana par exemple) et cette fois l'armure ne sert plus, mais est remplacée par un jet d'encaissement qui permettra de réduire éventuellement la valeur infligée., et donnera une conséquence en fonction du score de mortalité de l’arme (5 pour le katana). Ces dégâts sont résistés par un jet de dé qui peut amoindrir leur valeur - il faut ensuite comparer cette valeur à une table qui résume quelle type de blessure est infligée. En l’occurrence un katana a de bonnes chances d’infliger soit une blessure légère, soit une blessure lourde qui va se rattacher à l’Anneau utilisé par la cible ce round ci. La victime aura donc dorénavant un malus à toute utilisation de cet anneau, mais peut s'en affranchir en utilisant un autre anneau - il aura donc intérêt à changer d’approche pour le round suivant. On peut imaginer un samurai changer d'approche à chaque blessure jusqu’à ne plus pouvoir stocker de blessures, ce qui peut prendre un temps certain.
- Les coups critiques ne deviennent véritablement source de mort subite qu’à partir d’un score de mortalité de 12 ou plus (ce qui a la lecture ne paraît pas si facile que ça à atteindre, même avec notre katana à 5!). A tel point qu’il y a une règle providentielle pour les duels qui établi que si un personnage accumule trop de Strife et dépasse son seuil de « composure » alors il est permis de lui infliger un coup mortel qui est l’équivalent d’un coup critique avec le double du score de mortalité habituel. Une règle assez artificielle qui aura au moins le mérite de raccourcir les duels).
Je signale également que le MJ est encouragé à ne pas appliquer ces règles pour les sous-fifres et à se baser uniquement sur leurs points d’endurance. Mais tout de même
ce système de résolution de conflit me donne l’impression d’un rendez-vous raté. Il n'est pas spécialement compliqué, mais on perd définitivement l’aspect mortel et expéditif du Roll& Keep qui n’était déjà pas le plus rapide en termes de résolution.
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Conclusion
Il y aurait encore beaucoup à dire (sur la mécanique de Strife, les duels, les intrigues, l’utilisation de tags pour les objets et comme indicateur de santé pour les personnages, …) mais cet avis est déjà bien trop long. Pour conclure, disons que mon avis est mitigé : cette version est bourrée de bonnes idées que je n'attendais pas et qui m'ont vraiment enthousiasmé, que ce soit sur la gestion des compétences, des écoles, ou de l’adaptation du Roll & Keep aux dés spéciaux. Mais là où la mécanique de base m’a séduit, son implémentation sur les mécanismes de conflit me semble trop lourd et inélégant, ce chapitre étant quasiment ma seule source de réserve sur cette nouvelle version. Enfin, il y a un foisonnement d’options qui demanderont un certain apprentissage pour pleinement comprendre la manière dont elles interagissent et qui s’adressent manifestement à des tablées recherchant un coté tactique en jeu.
Difficile de se prononcer sur le setting qui n'est que survolé, mais j'attends avec impatience le premier supplément de contexte pour voir quel dépoussiérage a été fait sur l'univers.