[CR - Hillfolk] Même pas vrai
Publié : mar. févr. 04, 2014 7:10 pm
Bon, je l'ai écrit, autant le poster ici, même si ce C.-R. imaginaire n'apporte rien de nouveau par rapport aux nombreuses discussions qui ont déjà eu lieu sur ce forum. Toutes mes excuses d'avance pour les redites.
Hillfolks of the Shire (les petites gens de la Comté)
Le MJ a donc posé le contexte. On joue de la fantaisie héroïque, avec une contrainte : aucun personnage de plus d'un mètre vingt, et un seul a le droit de porter des chaussures, à condition qu'il porte aussi une barbe. Dans cet univers du milieu, les porteurs de barbe sont des faiseurs et défaiseurs de relations interpersonnelles intenses.
Frodon et Sauron se sont PACSés il y a peu. Sauron a fait cadeau à Frodon d'un anneau d'or mais, Sauron ayant des tendances SM prononcées, veut que Frodon le porte en piercing. Frodon est rentré à la Comté pour y réfléchir et se réveille avec une gueule de bois en mithril après avoir cédé à l'invitation de Gimli.
Création des personnages : les relations
A. joue Frodon, le porteur de l'anneau
B. joue Sam, voisin de Frodon
C. joue Gimli, le porteur de chaussures et de barbe. On l'appellera « le nain », pour ne pas le confondre avec les autres, qui sont des « petites gens » (ce qui colle mieux avec l'ambiance de fantaisie héroïque que l'on souhaite installer, le terme officiel de « personne à l'altitude crânienne déficiente » du ministère de la lutte contre la différentiation sociale et pour l'acceptation de tous et de chacun comme il est sonnant quelque peu décalé). Témoin du PACS de Frodon et de Sauron. Compagnon de beuverie de Sam.
D. joue Gandalf, un grand barbu proche de la retraite
E. joue Gollum, un joailler qui sent le poisson (bio, toutefois).
Création des personnages : les désirs
Frodon veut être accepté comme il est
Sam veut l'amour
Gimli veut la reconnaissance
Gandalf veut le pouvoir (l'obéissance de Frodon et Sam)
Gollum veut exterminer le peuple des petites gens
Création des personnages : les dipôles dramatiques
Frodon est actif/passif : se laissera-t-il marcher sur les pieds poilus pendant longtemps ou assumera-t-il son destin monosexuel ?
Sam hésite entre une homosexualité frodonienne et une hétérosexualité banale
Gimli est tiraillé entre son désir d'intégration chez les hobbits et sa carrière naturelle de tueur de Trolls (TM un autre jeu)
Gandalf hésite sur la couleur de sa robe : hum, gris ou blanc ? hum ?
Gollum ne sait plus quoi penser, mon trrrésor
Création des personnages : ce que chacun attend des autres
Frodon veut que tout le monde lui f… la paix
Sam veut que Frodon se décide à lui dire "oui" ou "non".
Gimli veut être enfin adopté par Frodon et Sam, la procréation artificielle par Saroumane n'ayant jusqu'à présent donné naissance qu'à des sous-produits teigneux, laissant peu de chances à un couple de petites gens du même sexe et au genre indéterminé de contribuer correctement au repeuplement de la Comté.
Gandalf veut ramener Frodon chez Sauron, Sam et Gimli à la maison.
Gollum, ouais, non, finalement, il va jouer à la DS3 dans la pièce d'à côté
Création des personnages : les compétences
Frodon est Strong en Sneaking et Moving. S'il accepte d'enfiler l'anneau, plus personne ne se souciera de lui.
Sam est Strong en Enduring (il supporte tout) et Making (la cuisine)
Gimli est Strong en Fighting et Making.
Gandalf est Strong en Knowing et Talking.
Création des personnages : la phrase qui tue
Frodon : Mon histoire est celle d'un petit gent qui veut rester petit
Sam : Mon histoire est celle d'un petit gent qui rêve un peu trop
Gimli : Mon histoire est celle d'un nain qui voudrait tant être un hobbit
Gandalf : Mon histoire est celle d'un magicien en pré-retraite mais qui aimerait bien encore un peu
Hillfolk étant un jeu destiné à « tisser une campagne continue et épique de conflits interpersonnels à enjeux élevés qui s'enrichit à chaque séance (sic) » et dont « le simple cadre [du DramaSystem] met en avant notre créativité et renouvelle en permanence une narration surprenante et émotionnellement prégnante », nous passons rapidement sur l'anniversaire d'un hobbit centenaire pour plonger dans le vif du sujet jusqu'au cou et nous savonner d'émotions interpersonnelles jusque derrière les oreilles.
Il faut donc qu'un joueur « cale une scène » (call a scene). Une scène, à Hillfolk, est soit une scène d'action (procedural scene), soit une scène dramatique (drama scene). On ne va pas commencer par une scène d'action, parce que, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, une scène d'action est une scène où il ne se passe rien. En effet, ce ce qui est important, dans Hillfolk, ce sont les épiques conflits interpersonnels, pas les épiques batailles ébourrifantes. La bataille du gouffre de l'Helm, tu te la gardes dans ton heaume cinéma, si je puis dire.
Chacun autour de la table doit donc proposer une scène à tour de rôle, une scène dans laquelle, si possible, les émotions des intervenants seront déchirées, les cœurs, blessés, les sentiments, étrillés, les espoirs, décus, avoués ou envolés, etc. Rangez vos dés, sortez vos mouchoirs (vos bières et vos cacahuètes, surtout les cacahuètes, elles sont utilisées par le système de jeu). Dans une scène, il y a un Quémandeur (Petitioner) et un Pourvoyeur (Granter).
À ce stade de la partie et après une pareille présentation du DramaSystem, les joueur sont un peu déboussolés. Le MJ prend donc l'initiative et "cale une scène" : Gandalf (Quémandeur) s'incruste chez Frodon (Pourvoyeur) et lui rappelle que, maintenant qu'il est pacsé avec Sauron, il doit aller vivre chez celui-ci et lui obéir, parce que c'est le plus petit des deux. Oui mais Frodon ne veut pas, pour cette histoire de piercing. En plus, il déteste les caniches et Mordor, le caniche noir de Sauron, lui a bouffé ses chaussures la dernière fois. Depuis, par solidarité, le peuple hobbit refuse de porter des chaussures, tant que Sauron n'a pas demandé pardon. Or, Sauron, il est fier et têtu comme un âne corse. La paix vacille sur les terres du milieu… Gandalf se gratte la barbe, Frodon se gratte les pieds (ce qui revient à peu près au même chez ce peuple poilupède), nous sommes en plein conflit interpersonnel à enjeu grandiose (l'avenir des cordonniers des Terres du Milieu est dans la balance, tout de même !).
Bon, finalement, Frodon accepte de sortir de chez lui et de discuter avec Sauron une dernière fois. En échange, le joueur de Frodon gagne une cacahuète. Oui, il faut que je fasse une parenthèse dans cette éruption incontinente de Drama pour vous parler du côté "System" du DramaSystem. Dans le DramaSystem, comme il y a deux types de scène, il y a deux mécanismes de résolution ; jusque-là, tout va bien. Le système de résolution des scènes dramatiques, le voici : répétez « Ooommmm » le temps que la sonde Rosetta revienne sur la Terre. Oui, ça peut prendre du temps ; mais, une fois que vous avez suffisamment le vide dans votre esprit, on s'en contentera. Voilà, le vide, le néant, … Bien, vous avez compris. Le système de résolution des scènes dramatiques, comme l'univers, est une illusion. Il n'existe pas.
Une scène dramatique, c'est de la palabre entre personnages, c'est tout. À la fin, on échange quelques cacahuètes (ils appelent ça des jetons (tokens) dans les règles, mais les cacahuètes, ça fait encore plus série télé selon moi), et c'est tout. Si vous pensez que j'exagère, vérifiez par vous-même, le DramaSystem est en licence OGL et CreativeCommons. Fin de la parenthèse.
Donc, Frodon a gagné une cacahuète car il y a "cédé" à la demande de Gandalf. Scène suivante : le joueur de Sam profite de l'occasion et cale une scène : il veut accompagner Frodon chez Sauron (car il espère bien trouver un moyen de saboter leur réconciliation et remplacer Sauron dans le cœur de Frodon). Frodon, lui, s'en f… et veut des cacahuètes. Il accepte, fin de la scène.
Deuxième parenthèse technique pour souffler un peu au milieu de ce torrent de tension dramatique : oui, en fait, à tout moment, une scène peut s'arrêter net si l'une des deux parties obtient ce qu'elle veut. Dites simplement « d'accord », et la scène fait « pschiiit ». C'est pour cela qu'il faut que les personnages aient des intérêts ou des désirs qui s'opposent. Inversement, dire simplement « non », ça marche aussi. Les intérêts contraires ne suffisent pas : il faut en plus que tout le monde ait envie de parler et de se disputer, parce que c'est ce qu'on attend autour de la table. Et vous vous débrouillez tous seuls pour que la mayonnaise monte avec la moutarde, parce que ce n'est pas la système inexistant qui va vous aider. Moi, j'aurais appelé ça « scène de ménage » plutôt que « scène dramatique ». Fin de la deuxième parenthèse.
Voilà venu le tour du joueur de Gimli. S'il paye une cacahuète, il peut caler une scène dans laquelle il n'apparaît pas. Malheureusement, nous sommes en début de partie, personne n'a de cacahuète. Le voilà donc obligé de participer, et ça le gave grave la barbe de sa mère. Il faut du drame et de la déchirance, la scène se passera donc chez les vulcains, ce peuple à oreilles pointues qui n'aime pas les nains ; un nain chez les vulcains, ça ne peut qu'être un festival de conflits interpersonnels. Gandalf, Gimli et les hobbits sont donc à boire du thé à Rivendell avec des gens de tous horizons venus conseiller Frodon sur le meilleur endroit du corps où se faire placer son anneau.
Ah, non, disent tous les autres joueurs, tout ça, ça se passe trop loin et trop tard par rapport à la scène précédente, alors on vote tous pour que tu choisisses une autre scène. Tu la fermes et tu recommences.
Parenthèse technique : oui, le DramaSystem marche comme ça, démocratiquement, à main levée. C'est foudroyant d'intérêt, comme mécanisme.
Bon, dit le joueur de Gimli, puisque c'est comme ça, les trois nabots cheminent tranquillement vers chez Sauron. Gimli demande innocemment à Frodon si, puisqu'il n'aime pas les caniches, il serait prêt à accepter un nain de jardin ? Frodon dit non, pas question, et pourquoi pas coucher avec Sam, tant qu'on y est ? Double consternation autour de la table, les joueurs de Gimli et de Sam se regardent, hébétés, cherchant vainement quoi répondre. Un nâzgul passe.
Tiens, justement, bifurquons opportunément sur une scène d'action : un cavalier noir, surgi du fond de la nuit, cours sur nos héros au galop. Gimli veut le baffer, mais le MJ lui explique que non, faut pas déconner non plus, même si on ne joue pas à JRTM, il faut respecter la cohérence de l'univers un minimum. Tout le monde doit se cacher. Le MJ, bonne poire, et pour éviter un TPK, décide de jouer un jeton jaune (difficulté moyenne). Il tire une carte (un 7 de cœur) et la montre aux joueurs. Les hobbits jouent chacun leur jeton vert pour tirer deux cartes, parce qu'ils ne veulent pas être découverts. Gimli, lui, fait sa mauvaise tête et choisit un jeton rouge (ce qui revient à tenter de torpiller l'action). Heureusement, les hobbits parviennent à tirer un cœur, ce qui suffit pour réussir. Le nâzgul renifle mais ne parvient pas à détecter l'odeur aromatique des poilupèdes dissimulés sous une vieille souche moisie.
Parenthèse technique : et le fait que les hobbits sont Strong en Sneaking, ça ne joue pas ? me direz-vous. Réponse : non. Les compétences ne servent à rien, sauf en cas de conflit entre personnages. Certainement parce que c'est un jeu interpersonnel, mais on vous avait prévenu. Fin de la parenthèse.
Retour au drame : Frodon a refusé les avances de Gimli, il doit lui donner une de ses deux cacahuètes. C'est intense comme jamais.
Bon, voilà, je ne vais pas vous imposer la suite des 50 nuances de Gandalf le gris (qui en deviendra blanc), parce que vous savez désormais tout, à quelques détails près, du DramaSystem. C'est tout au plus une sorte de truc pour discuter autour d'une table, avec des règles pour organiser qui peut raconter quoi à quel moment, en échangeant des cacahuètes, saupoudrés de quelques principes pour que la mayonnaise prenne (les désirs, les dipôles, enfin, Burning Wheel, Smallville et consorts ont fait mille fois mieux avant pourtant). Pour tout ce qui touche à l'action, on tire des cartes au hasard. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si ce grand vide mérite ou non le titre de "jeu de rôle" ou s'il doit être frappé du sceau infâme de "jeu de libre narration partagée". Si, un dernier point de règle : au fait, pourquoi les joueurs s'échangent des cacahuètes ? En quoi cela les motive-t-il ? Eh bien, à la fin de chaque séance, plus vous avez de cacahuètes, plus vous avez de chance de gagner une super-cacahuète, c'est-à-dire, peu ou prou, une cacahuète que vous pourrez conserver pour la séance suivante (alors que tout le monde démarre sans cacahuète). Ce dernier point résume pour moi l'absurdité totale de l'économie des cacahuètes proposée par Hillfolk.
Bref, je ne sais pas ce qu'aurait donné l'adaptation du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson s'il avait suivi les conseils dramatiques de Hillfolk mais, finalement, je crois que la version DD4 qui nous a été offerte reste tout-à-fait regardable.
Vive DD4 ! Vive le JDR ! Vive Croc le bô !
Hillfolks of the Shire (les petites gens de la Comté)
Le MJ a donc posé le contexte. On joue de la fantaisie héroïque, avec une contrainte : aucun personnage de plus d'un mètre vingt, et un seul a le droit de porter des chaussures, à condition qu'il porte aussi une barbe. Dans cet univers du milieu, les porteurs de barbe sont des faiseurs et défaiseurs de relations interpersonnelles intenses.
Frodon et Sauron se sont PACSés il y a peu. Sauron a fait cadeau à Frodon d'un anneau d'or mais, Sauron ayant des tendances SM prononcées, veut que Frodon le porte en piercing. Frodon est rentré à la Comté pour y réfléchir et se réveille avec une gueule de bois en mithril après avoir cédé à l'invitation de Gimli.
Création des personnages : les relations
A. joue Frodon, le porteur de l'anneau
B. joue Sam, voisin de Frodon
C. joue Gimli, le porteur de chaussures et de barbe. On l'appellera « le nain », pour ne pas le confondre avec les autres, qui sont des « petites gens » (ce qui colle mieux avec l'ambiance de fantaisie héroïque que l'on souhaite installer, le terme officiel de « personne à l'altitude crânienne déficiente » du ministère de la lutte contre la différentiation sociale et pour l'acceptation de tous et de chacun comme il est sonnant quelque peu décalé). Témoin du PACS de Frodon et de Sauron. Compagnon de beuverie de Sam.
D. joue Gandalf, un grand barbu proche de la retraite
E. joue Gollum, un joailler qui sent le poisson (bio, toutefois).
Création des personnages : les désirs
Frodon veut être accepté comme il est
Sam veut l'amour
Gimli veut la reconnaissance
Gandalf veut le pouvoir (l'obéissance de Frodon et Sam)
Gollum veut exterminer le peuple des petites gens
Création des personnages : les dipôles dramatiques
Frodon est actif/passif : se laissera-t-il marcher sur les pieds poilus pendant longtemps ou assumera-t-il son destin monosexuel ?
Sam hésite entre une homosexualité frodonienne et une hétérosexualité banale
Gimli est tiraillé entre son désir d'intégration chez les hobbits et sa carrière naturelle de tueur de Trolls (TM un autre jeu)
Gandalf hésite sur la couleur de sa robe : hum, gris ou blanc ? hum ?
Gollum ne sait plus quoi penser, mon trrrésor
Création des personnages : ce que chacun attend des autres
Frodon veut que tout le monde lui f… la paix
Sam veut que Frodon se décide à lui dire "oui" ou "non".
Gimli veut être enfin adopté par Frodon et Sam, la procréation artificielle par Saroumane n'ayant jusqu'à présent donné naissance qu'à des sous-produits teigneux, laissant peu de chances à un couple de petites gens du même sexe et au genre indéterminé de contribuer correctement au repeuplement de la Comté.
Gandalf veut ramener Frodon chez Sauron, Sam et Gimli à la maison.
Gollum, ouais, non, finalement, il va jouer à la DS3 dans la pièce d'à côté
Création des personnages : les compétences
Frodon est Strong en Sneaking et Moving. S'il accepte d'enfiler l'anneau, plus personne ne se souciera de lui.
Sam est Strong en Enduring (il supporte tout) et Making (la cuisine)
Gimli est Strong en Fighting et Making.
Gandalf est Strong en Knowing et Talking.
Création des personnages : la phrase qui tue
Frodon : Mon histoire est celle d'un petit gent qui veut rester petit
Sam : Mon histoire est celle d'un petit gent qui rêve un peu trop
Gimli : Mon histoire est celle d'un nain qui voudrait tant être un hobbit
Gandalf : Mon histoire est celle d'un magicien en pré-retraite mais qui aimerait bien encore un peu
Hillfolk étant un jeu destiné à « tisser une campagne continue et épique de conflits interpersonnels à enjeux élevés qui s'enrichit à chaque séance (sic) » et dont « le simple cadre [du DramaSystem] met en avant notre créativité et renouvelle en permanence une narration surprenante et émotionnellement prégnante », nous passons rapidement sur l'anniversaire d'un hobbit centenaire pour plonger dans le vif du sujet jusqu'au cou et nous savonner d'émotions interpersonnelles jusque derrière les oreilles.
Il faut donc qu'un joueur « cale une scène » (call a scene). Une scène, à Hillfolk, est soit une scène d'action (procedural scene), soit une scène dramatique (drama scene). On ne va pas commencer par une scène d'action, parce que, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, une scène d'action est une scène où il ne se passe rien. En effet, ce ce qui est important, dans Hillfolk, ce sont les épiques conflits interpersonnels, pas les épiques batailles ébourrifantes. La bataille du gouffre de l'Helm, tu te la gardes dans ton heaume cinéma, si je puis dire.
Chacun autour de la table doit donc proposer une scène à tour de rôle, une scène dans laquelle, si possible, les émotions des intervenants seront déchirées, les cœurs, blessés, les sentiments, étrillés, les espoirs, décus, avoués ou envolés, etc. Rangez vos dés, sortez vos mouchoirs (vos bières et vos cacahuètes, surtout les cacahuètes, elles sont utilisées par le système de jeu). Dans une scène, il y a un Quémandeur (Petitioner) et un Pourvoyeur (Granter).
À ce stade de la partie et après une pareille présentation du DramaSystem, les joueur sont un peu déboussolés. Le MJ prend donc l'initiative et "cale une scène" : Gandalf (Quémandeur) s'incruste chez Frodon (Pourvoyeur) et lui rappelle que, maintenant qu'il est pacsé avec Sauron, il doit aller vivre chez celui-ci et lui obéir, parce que c'est le plus petit des deux. Oui mais Frodon ne veut pas, pour cette histoire de piercing. En plus, il déteste les caniches et Mordor, le caniche noir de Sauron, lui a bouffé ses chaussures la dernière fois. Depuis, par solidarité, le peuple hobbit refuse de porter des chaussures, tant que Sauron n'a pas demandé pardon. Or, Sauron, il est fier et têtu comme un âne corse. La paix vacille sur les terres du milieu… Gandalf se gratte la barbe, Frodon se gratte les pieds (ce qui revient à peu près au même chez ce peuple poilupède), nous sommes en plein conflit interpersonnel à enjeu grandiose (l'avenir des cordonniers des Terres du Milieu est dans la balance, tout de même !).
Bon, finalement, Frodon accepte de sortir de chez lui et de discuter avec Sauron une dernière fois. En échange, le joueur de Frodon gagne une cacahuète. Oui, il faut que je fasse une parenthèse dans cette éruption incontinente de Drama pour vous parler du côté "System" du DramaSystem. Dans le DramaSystem, comme il y a deux types de scène, il y a deux mécanismes de résolution ; jusque-là, tout va bien. Le système de résolution des scènes dramatiques, le voici : répétez « Ooommmm » le temps que la sonde Rosetta revienne sur la Terre. Oui, ça peut prendre du temps ; mais, une fois que vous avez suffisamment le vide dans votre esprit, on s'en contentera. Voilà, le vide, le néant, … Bien, vous avez compris. Le système de résolution des scènes dramatiques, comme l'univers, est une illusion. Il n'existe pas.
Une scène dramatique, c'est de la palabre entre personnages, c'est tout. À la fin, on échange quelques cacahuètes (ils appelent ça des jetons (tokens) dans les règles, mais les cacahuètes, ça fait encore plus série télé selon moi), et c'est tout. Si vous pensez que j'exagère, vérifiez par vous-même, le DramaSystem est en licence OGL et CreativeCommons. Fin de la parenthèse.
Donc, Frodon a gagné une cacahuète car il y a "cédé" à la demande de Gandalf. Scène suivante : le joueur de Sam profite de l'occasion et cale une scène : il veut accompagner Frodon chez Sauron (car il espère bien trouver un moyen de saboter leur réconciliation et remplacer Sauron dans le cœur de Frodon). Frodon, lui, s'en f… et veut des cacahuètes. Il accepte, fin de la scène.
Deuxième parenthèse technique pour souffler un peu au milieu de ce torrent de tension dramatique : oui, en fait, à tout moment, une scène peut s'arrêter net si l'une des deux parties obtient ce qu'elle veut. Dites simplement « d'accord », et la scène fait « pschiiit ». C'est pour cela qu'il faut que les personnages aient des intérêts ou des désirs qui s'opposent. Inversement, dire simplement « non », ça marche aussi. Les intérêts contraires ne suffisent pas : il faut en plus que tout le monde ait envie de parler et de se disputer, parce que c'est ce qu'on attend autour de la table. Et vous vous débrouillez tous seuls pour que la mayonnaise monte avec la moutarde, parce que ce n'est pas la système inexistant qui va vous aider. Moi, j'aurais appelé ça « scène de ménage » plutôt que « scène dramatique ». Fin de la deuxième parenthèse.
Voilà venu le tour du joueur de Gimli. S'il paye une cacahuète, il peut caler une scène dans laquelle il n'apparaît pas. Malheureusement, nous sommes en début de partie, personne n'a de cacahuète. Le voilà donc obligé de participer, et ça le gave grave la barbe de sa mère. Il faut du drame et de la déchirance, la scène se passera donc chez les vulcains, ce peuple à oreilles pointues qui n'aime pas les nains ; un nain chez les vulcains, ça ne peut qu'être un festival de conflits interpersonnels. Gandalf, Gimli et les hobbits sont donc à boire du thé à Rivendell avec des gens de tous horizons venus conseiller Frodon sur le meilleur endroit du corps où se faire placer son anneau.
Ah, non, disent tous les autres joueurs, tout ça, ça se passe trop loin et trop tard par rapport à la scène précédente, alors on vote tous pour que tu choisisses une autre scène. Tu la fermes et tu recommences.
Parenthèse technique : oui, le DramaSystem marche comme ça, démocratiquement, à main levée. C'est foudroyant d'intérêt, comme mécanisme.
Bon, dit le joueur de Gimli, puisque c'est comme ça, les trois nabots cheminent tranquillement vers chez Sauron. Gimli demande innocemment à Frodon si, puisqu'il n'aime pas les caniches, il serait prêt à accepter un nain de jardin ? Frodon dit non, pas question, et pourquoi pas coucher avec Sam, tant qu'on y est ? Double consternation autour de la table, les joueurs de Gimli et de Sam se regardent, hébétés, cherchant vainement quoi répondre. Un nâzgul passe.
Tiens, justement, bifurquons opportunément sur une scène d'action : un cavalier noir, surgi du fond de la nuit, cours sur nos héros au galop. Gimli veut le baffer, mais le MJ lui explique que non, faut pas déconner non plus, même si on ne joue pas à JRTM, il faut respecter la cohérence de l'univers un minimum. Tout le monde doit se cacher. Le MJ, bonne poire, et pour éviter un TPK, décide de jouer un jeton jaune (difficulté moyenne). Il tire une carte (un 7 de cœur) et la montre aux joueurs. Les hobbits jouent chacun leur jeton vert pour tirer deux cartes, parce qu'ils ne veulent pas être découverts. Gimli, lui, fait sa mauvaise tête et choisit un jeton rouge (ce qui revient à tenter de torpiller l'action). Heureusement, les hobbits parviennent à tirer un cœur, ce qui suffit pour réussir. Le nâzgul renifle mais ne parvient pas à détecter l'odeur aromatique des poilupèdes dissimulés sous une vieille souche moisie.
Parenthèse technique : et le fait que les hobbits sont Strong en Sneaking, ça ne joue pas ? me direz-vous. Réponse : non. Les compétences ne servent à rien, sauf en cas de conflit entre personnages. Certainement parce que c'est un jeu interpersonnel, mais on vous avait prévenu. Fin de la parenthèse.
Retour au drame : Frodon a refusé les avances de Gimli, il doit lui donner une de ses deux cacahuètes. C'est intense comme jamais.
Bon, voilà, je ne vais pas vous imposer la suite des 50 nuances de Gandalf le gris (qui en deviendra blanc), parce que vous savez désormais tout, à quelques détails près, du DramaSystem. C'est tout au plus une sorte de truc pour discuter autour d'une table, avec des règles pour organiser qui peut raconter quoi à quel moment, en échangeant des cacahuètes, saupoudrés de quelques principes pour que la mayonnaise prenne (les désirs, les dipôles, enfin, Burning Wheel, Smallville et consorts ont fait mille fois mieux avant pourtant). Pour tout ce qui touche à l'action, on tire des cartes au hasard. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si ce grand vide mérite ou non le titre de "jeu de rôle" ou s'il doit être frappé du sceau infâme de "jeu de libre narration partagée". Si, un dernier point de règle : au fait, pourquoi les joueurs s'échangent des cacahuètes ? En quoi cela les motive-t-il ? Eh bien, à la fin de chaque séance, plus vous avez de cacahuètes, plus vous avez de chance de gagner une super-cacahuète, c'est-à-dire, peu ou prou, une cacahuète que vous pourrez conserver pour la séance suivante (alors que tout le monde démarre sans cacahuète). Ce dernier point résume pour moi l'absurdité totale de l'économie des cacahuètes proposée par Hillfolk.
Bref, je ne sais pas ce qu'aurait donné l'adaptation du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson s'il avait suivi les conseils dramatiques de Hillfolk mais, finalement, je crois que la version DD4 qui nous a été offerte reste tout-à-fait regardable.
Vive DD4 ! Vive le JDR ! Vive Croc le bô !