Bande son : https://www.youtube.com/watch?v=z4PKzz81m5c
Ca se passe dans l'Iowa, à Des Moines, dans les années cinquante.
Les personnages (Joe Delgado, William Carter et Lauren Johnson) sont détectives privés dans leur agence, la Carter&Johnson.
Deux joueurs et une joueuse et deux personnages féminins (Joe, Lauren) et un personnage masculin (William).

L’agence Carter&Johnson périclitait. Enfin le terme est fort, puisqu’elle n’avait pas connu l’apothéose non plus. Avec le blé de papa Delgado, on arrivait encore à rester à flot, mais celui ci avait annoncé à sa fille qu’il “coupait les robinets”.
Du coup, quand le téléphone a sonné, on a cru que Dieu, l'autre nom du hasard, se souciait enfin de nos destinées.
A l'autre bout du fil, une certaine Lolita fait rouler son accent texan et ponctue d’effets de gorge, une voix profonde et chaude à vous faire raidir un moribond. Je vois le William se répandre en politesse, tout en prétextant chercher un “créneau” dans un emploi du temps prétendument bouché. Avec les cartes qu'on a, c'est le bluff ou rien.
Finalement, la Lolita va venir ce matin même, en taxi, nous exposer ses turpitudes.
Ca laisse le temps à William de congédier le chinois, en le baratinant. Et à Joe et moi (Lauren) le temps de dépoussiérer, planquer les bouteilles vides, aérer un peu, et donner un aspect lustré à nos locaux. Faudrait pas que la Lolita comprenne trop vite qu’hormis le chinois, on n'a pas trop de visite et ce, depuis un bon moment. Un proverbe résume très bien, à propos de riche à qui on prête de l'argent ou de fourmi et de sucre. Je ne sais plus trop. Vous saisissez l'idée.
La voilà qui arrive, ça cogne sec dans le couloir, Madame porte du talon aiguille.
Surprise en ouvrant la porte : Lolita devrait faire de la radio comme on dit. Sa voix suave n’est pas contractuelle. William appelle ça une crevette : joli corps mais vilaine figure.
Oh, elle a du être plutôt avenante dans ses vertes années, la Lolita. Mais l’abus d’alcool, de nicotine et d’anxiolytique lui ont effondré la façade : son regard est lourd, sa peau flasque, son attitude ralentie et gauche. On sent qu’elle est en pointillé dans sa tête. Ca clignote fébrile avant de passer au vert. Une clope lui pendouille aux lèvres, tressautant au rythme de son propos, soulignant sa vulgarité spontanée, que le fric n'a pas su maquiller.
Son oeil hagard s’allume soudain lorsqu’il se pose sur la bouteille que je viens d’extirper. Du whisky qui vient bientôt réchauffer l’âme en peine de cette malheureuse...et affermir ses mains tremblantes. Elle engloutit brutal, la soiffarde.
Quand la potion magique l'a un peu calmé, elle fouille dans son sac, un truc chic, une marque, importé de France, s’il vous plaît. On n’y connait rien, nous autres, les bouseux de Des Moines, Iowa. Si ce n’est que c’est français alors c’est pas de la gnognotte. Madame a de l’allonge, et on serait pas contre piocher dedans. Une photo de chien, voilà ce qu'elle déniche.
Son rimmel trace des sillons humides en zigzag sur son visage ingrat, froissé par les soucis de l'oisiveté friquée, et elle nous déballe sa tragédie : Biscotte, son bichon frisé, le compagnon des shoppings, le confident de ses comas éthyliques et de ses psychodrames imaginaires, a disparu. Kidnappé, le clébard.
“Va falloir tout nous raconter, Madame Tchekerdjian...depuis le début.”
On connait le métier, la méthode c’est notre affaire, on a des phrases types pour mettre à l’aise le client. Toutefois, c'est notre premier dognapping, puisqu'il faut bien l'appeler comme ça. Soyons précis.
Et voilà ce que nous raconte Lolita...