Isidore s’éclipse de la garde du dominicain et tout le petit groupe se retrouve dans la cour du château. Frère Barthélémy, éreinté par ces journées d’enquête, décide de se faire un petit remontant, et ramasse un tas de feuilles mortes dans le jardin, qu’il tartine généreusement de son foujou . Il utilise là un pouvoir acquis précédemment au dépens du Homard, réputé manger n’importe quoi, et qui lui permet de regagner un peu de sa fatigue.
Isidore raconte sa confession, et s’inquiète de l’intérêt du Père Jules. Ce dernier dominicain semble un exalté de premier ordre, et tient apparemment sous son regard inquisiteur le loufoque ordre de Saint-Luc. Pour se protéger de sa curiosité, les frères imaginent créer un livre de recettes pour imiter le Bestiaire, au cas où il souffrirait une investigation détaillée. Mais cela devra attendre de rentrer à l’abbaye.
La petite délégation, satisfaite de l’échange, décide de remonter dans la salle haute pour continuer ses investigations - et profiter de la bonne chair offerte par la baronne. Mais si cochon de lait et pâté croûtes défilent sur de riches plateaux d’argent, ils ne pourront guère y goûter. Prévenant, et soucieux du respect des jours de chair maigre, le père Jules leur a fait servir un infâme brouet clair.
Malgré la déconvenue, l’équipe se prépare au plus important : interroger Gaston sur Clotilde et le Lyon, maintenant que le chevalier leur est reconnaissant. Profitant d’un instant où le preux s’isole pour faire les 400 pas devant la cheminée, ils l’abordent et commencent à le questionner. Le frère Fulbert glisse même dans ses questions le mot de “connin” et, aussitôt, le charme féerique qui couvrait Gaston s’estompe, pour laisser place à un fort beau lapin.
Les membres du Scriptorium se rendent alors compte qu’ils l’ont déjà vu par le passé, à l’auberge des Trois Faisans lors d’une fête organisée par la grande Jacasse. Gaston lui-même ne semble pas décontenancé par la tournure des évènements, et semble garder quelques cartes dans la manche…
Le Scriptorium ne manque pas de le lancer sur le sujet du Lyon, ce qui courrouce fortement le connin. Le grand félin ne fut-il pas le meilleur d’entre eux ? Ne devait-il pas donner l’exemple ?
Jadis seigneur noble auprès de sa dame, il est désormais une bête féroce en proie à des crises de colère et de bestialité. Mutilé par l’amnésie infligée par la Dame, il est hors de contrôle. Comment a-t’il pu en arriver là ?
Au début, ils régnaient tous deux sur une cour de féérie jusqu’au moment où, drapée dans ses rémiges chatoyantes, la grande Jacasse vint à séduire le Lyon et l’éloigner de la Dame. Gaston fût le témoin amer de leur jeu de la cuisse, qu’il ne tarda pas à confesser à sa maîtresse. Folle de chagrin, furieuse, elle décida de tisser les mémoires de leur vie commune et la coquinerie de la Jacasse, pour les piéger à tout jamais dans la chaîne et la trame.
Ainsi, bien qu’elle ait perdu les émotions de ces moments douloureux, elle les conserve dans ses tapisseries. La peine est partie, et seules restent accrochées aux murs ces images d’une histoire qui fut la sienne et semblent maintenant celle d’une étrangère.
Malgré cela le Lyon commença à commettre des forfaits à cause de la douleur de l’oubli, et bientôt la Dame fut ravie d’aller en “Vulgairie” à l’occasion du Grand Jaillissement. Hélas le Lyon la suivit lorsque les portes s’ouvrirent vers l’autre monde.
Lors de l’échange qui suit, plusieurs informations fusent. Gaston ne serait pas contre une action du Scriptorium à l’égard du Lyon. Celui-ci est une Majeure très puissante, dangereuse pour quiconque ne peut régénérer après avoir été coupé en deux… ce qui semble le cas des étranges humains de Vulgairie. Le seul point faible du Lyon serait sa fascination pour la Dame.
Le lapin passionné des romans arthuriens met également le Scriptorium en garde contre toute envie de l’enluminer : il garde une tapisserie des moines, très ancienne… qui concerne l’abbé et notre abbesse.
Au terme de leur discussion, Gaston de Cerfeuil accepte d’organiser une entrevue avec sa Dame du moment que les moines jurent de ne pas tenter de l’illuminer. Sœur Célestine s’y refuse et préfère jouer du luth, trop partagée entre ses serments et l’apparente loyauté du lapin. Frère Isidore s’empresse d’écrire les dernières nouvelles dans son journal afin de ne pas risquer de les oublier…
La fin du repas approche, et Gaston vient chercher ceux qui lui ont juré de se tenir pendant l’entrevue. Il les guide ensuite vers l’aile Est du château et, arrivé devant la porte de Clotilde, se tourne face au mur avant de s’avancer d’un pas ferme vers une tapisserie, dans laquelle il disparaît sous le regard surpris des moines.
Le tissu figure une grande porte antique à double battant, cernée de chèvrefeuille fleuri. Les trois moines se signent et sautent dans la tapisserie à la suite du Lapin, sous l’œil surpris de Sœur Célestine, qui les observaient du coin du couloir.
“ Le monde tremble, ondule, et se déroule de haut en bas comme le feraient mille tapisseries qu’on suspendrait depuis les murailles. Le sol est couvert de trames ondoyantes, imitant les carreaux de la grande salle du château. Il n’y a guère de murs ou de plafonds, mais des montagnes de tissus chatoyants, des rivières de galons dorés et des fontaines de laine aussi bleu que le ciel. Des fuseaux géants ont jailli du sol tels une forêt, alors qu’étranges métiers à tisser se déplacent sur quatre pattes de bois, tirant du sol de longs fils qui s’enroulent sur leurs chassis.
Tes propres mains sont tissées, faites de fils de trames s’enroulant autour de fils de chaîne, courant et s’entrelaçant en une armure de tissus complexes. Il n’est rien qui ne soit tissé, rien qui ne soit filé, rien qui n’éclate en couleurs claires et le monde entier est la plus incroyable des tapisseries.
Tendre la main, c’est se rendre compte que la vallée ondoyante qui s’étendait devant toi n’est qu’à quelques centimètres, et qu’elle n’est qu’un improbable rideau tombant d’un ciel confus. Derrière c’est un tout nouveau paysage qui s’annonce, un épais buisson de pelotes et de fils, un hallier de peignes et de barres de lisse, un plessis de fils de chaîne. Tel est le royaume de la Dame.”
Surprise, Célestine décide de profiter du calme pour fouiller la chambre de Clotilde mais…celle-ci est fermée à clé.