J'étais un peu anxieux en raison de la forte dose d'improvisation qu'impliquait le jeu, puisqu'il tient en une quinzaine de pages et que la description de l'univers et du scénario tient littéralement en quelques phrases, mais j'avais résolu de, eh bien, jouer le jeu, donc la préparation a été minimale : simplement la rererelecture du jeu (découvert il y a déjà de longs mois), sans bricolages supplémentaires sur l'univers ou le scénario. J'ai simplement un peu réfléchi à l'ambiance qui pourrait plaire au groupe, et c'était vite vu : tirer l'univers vers le steampunk et faire de l'aventure de cape et d'épée riche en péripéties.
J'ai installé le jeu (en VF) imprimé devant moi, ai déployé un écran Exil qui était ce que j'avais de plus proche du thème, et j'ai commencé par une très courte explication du principe du jeu de rôle (qui n'a posé aucun problème), puis une présentation rapide de l'univers (simplissime aussi, et qui a eu beaucoup de succès).
J'ai alors expliqué le principe des jets d'action. Je me suis rapidement rendu compte que le système de Lady Blackbird, malgré sa grande simplicité, n'est pas le plus intuitif pour une débutante complète : rien que le principe de lancer des d6 en ne s'intéressant qu'aux réussites sur 4, 5, 6 me paraissait à moi-même un peu compliqué pour rien (à ce compte-là, autant lancer des pièces de monnaie), et la gestion d'une réserve de dés en plus des un à trois dés de base n'allait pas de soi, de même (surtout) que le principe des clefs qui pouvaient se racheter. (Oui, "pour un rôliste, c'est simple", mais pas quand on découvre complètement ce type de jeu, je vous assure.) J'ai donc éludé assez vite les points les plus élaborés pour m'en tenir à l'explication de base des jets d'action, des dés supplémentaires que peuvent apporter traits et étiquettes et du principe général de la réserve avec la règle d'entraide. Pas de clés ou de rachats, pas d'XP, de toute façon nous avions peu de temps pour jouer et je sentais que des explications de règles trop longues ne seraient pas du meilleur effet : autant valait mieux se lancer et préciser les choses au fur et à mesure.
L'essentiel de la présentation s'est vite concentré sur le choix des personnages prétirés. La débutante s'est fait remettre très officiellement la feuille de Lady Blackbird (et en a été visiblement ravie). Les deux autres ont joué respectivement Cyrus Vance (l'autre joueuse) et Kale Arkam (le joueur).
Voilà donc nos trois PJ jetés au fond d'une cale parmi les trépidations des entrailles de fer de La Main Chagrine, et, qui plus est, enchaînés par la cheville ! En un rien de temps, tout le groupe était à discuter d'un plan d'évasion et à fouiller la cellule. J'ai un peu relâché les contraintes en expliquant que la cellule servait aussi de débarras pour des plaques de tôle, ce qui a permis à nos détenus de s'emparer de quelques outils... mais toujours rien pour venir à bout des chaînes, jusqu'à ce que Kale aperçoive dans un coin la silhouette d'un rat des vaisseau, petit animal très nuisible puisque sa salive est si corrosive qu'elle peut dissoudre le métal (merci Alien). Grâce à sa grande dextérité, Kale s'empare de l'animal et sait placer ses doigts de part et d'autre de la tête afin de faire cracher sa salive au rongeur (qui n'aura jamais si bien porté ce nom). Un picotement sur la cheville, un peu de travail pour assouplir encore le métal... et nos héros sont désormais libres. Le temps d'attirer l'attention de la sentinelle en simulant un malaise et de l'assommer d'un bon coup de clé à mollette, et les PJ récupèrent sur lui un habit de marin impérial ainsi qu'un coutelas cranté et un pisolet à aiguilles (merci Confessions d'un automate mangeur d'opium).
Les PJ ont alors décidé que l'un d'eux revêtirait les vêtements de la sentinelle et ferait mine de conduire les prisonniers ailleurs (merci Star Wars Episode IV : il faut dire que La Chouette et son équipage lui devaient aussi beaucoup). Les voici en train d'avancer dans le couloir en jetant des coups d'oeil prudents aux hublots des différentes portes, en se demandant bien comment retrouver leur vaisseau arraisonné et leurs deux compagnons, Naomi et Snargle, dont ils ignorent où ils ont été emmenés... sans parler de faire le plein de fuel. Mais pour le moment, ils ne voient que des couchettes de marins. Ils ont bientôt trouvé, le long du couloir, un meuble supportant une machine étrange, à mi-chemin entre la machine à calculer pascalienne et le lecteur de microfilms vintage. Kale a tenté sa chance, mais sans succès : impossible de comprendre comment fonctionne l'engin. Soudain, par delà le croisement, des pas dans le couloir, qui se rapprochent... Notre groupe se presse dans l'autre direction, mais rien n'y fait, ils sont rattrapés par un officier et un garde. Ils s'en sont sortis en y allant au culot :
"J'ai reçu l'ordre d'emmener ces prisonniers sur le pont !" se défend Kale en habit de marin.
"Oh ! Etrange, les ordres ont dû se croiser, je venais justement pour cela. Venez donc avec moi."
"Bien entendu. Je vous en prie, passez devant..."
Lady Blackbird a eu vite fait d'enfoncer son coutelas dans les reins de l'officier, mais le garde qui l'accompagnait est parvenu à donner l'alerte, à la faveur d'un tir manqué de Kale. C'est Cyrus qui tue le soldat d'une volée d'aiguilles (tir qui n'a pas attiré davantage l'attention : ces armes à air comprimé ultramodernes sont bien commodes). Malgré cela, les PJ partent au pas de course et franchirent une porte aux joints épais dont ils activent aussitôt le verrouillage à air comprimé pour protéger leurs arrières. Mais où chercher le vaisseau ? Une fausse alerte et un bref dialogue avec un marin m'ont permis de les mettre sur la piste : "Je ne connais pas ta tête, toi... Tu bosses à la proue, d'habitude ?" Au moins ils savent à présent où ils sont, mais ils n'en sont pas beaucoup plus avancé. Un escalier monté quatre à quatre, une nouvelle exploration d'un couloir interminable... Où peuvent-ils donc se trouver ? Voici une nouvelle machine comme celle de tout à l'heure. C'est alors que Cyrus Vance, ancien soldat impérial, se rappelle avoir vu parfois des compagnons d'armes activer ces machines à l'aide d'un passe. Le trousseau de clés de la sentinelle en a-t-il un ? Oui ! Et voilà Cyrus occupé à scruter le plan de l'étage et à déchiffrer sans problème les abréviations réglementaires de la bureaucratie impériale (merci la réalité). Les PJ peuvent alors localiser un entrepôt susceptible de contenir du fuel ainsi que les hangars les plus proches, mais ils ignorent quels vaisseaux ils contiennent : La Chouette, ou des chasseurs impériaux ?
Après un coup d'oeil par un hublot confirmant que l'entrepôt voisin contenait bien du fuel, les PJ sont entrés dans le premier hangar. Le vaisseau qui y est arrimé est un chasseur impérial semblable à une sorte de grande libellule métallique (merci Le Château dans le ciel), dont des ouvriers sont justement en train de faire le plein, et qui peut accueillir jusqu'à trois personnes. Le vaste ciel de l'Indomptable bleu du firmament s'étale devant eux, un vent léger et vivifiant leur souffle au visage, promesse de liberté... Et l'hésitation les prend : lady Blackbird quitterait bien La Main chagrine à bord du chasseur, mais le capitaine ne veut pas abandonner son vaisseau et les membres d'équipage disparus. Mais le temps leur est compté : déjà des ouvriers s'approchent d'eux, étonnés et vaguement soupçonneux... il est temps de quitter la pièce.
De retour dans le corridor, les PJ se sont dirigés vers le second hangar. Leur décision était prise : si ce second hangar ne contenait pas La Chouette, ils s'enfuiraient à bord de la libellule. Soudain, voici que des pas retentissent dans le corridor devant eux, en provenance d'un croisement lointain. Vite, il faut ouvrir la porte ! Mais au moment où ils s'apprêtent à l'ouvrir, la porte s'ouvre à la volée dans un grand retentissement de métal et le corps d'un marin impérial lancé à toute vitesse vole à travers le corridor pour s'écraser contre la paroi métallique à leur droite. Une silhouette paraît, grande, dégingandée, hérissée d'une crinière rousse et prolongée de pantalons à la garçonne, la silhouette d'une ancienne gladiatrice qui s'exclame :
"My lady !
- Naomi ! s'exclame à son tour lady Blackbird. Je craignais de ne jamais te retrouver !"
Mais les embrassades ont été de courte durée, car déjà deux autres marins se précipitaient sur Naomi. Pendant la fusillade qui a suivi et a coûté la vie aux deux marins, les PJ ont pu apercevoir, dans le hangar, leur cher vaisseau.
"Vite ! crie Naomi. Savez-vous où trouver du fuel ?"
Retour précipité vers l'entrepôt où, dans une pluie d'aiguilles et sous l'oeil apeuré des ouvriers, les PJ se sont emparés d'un chariot portant de nombreux barils de fuel. Entrer, s'emparer du chariot et sortir, ça n'a été qu'un seul mouvement. Déjà, des silhouettes de marins s'encadrent à l'extrémité lointaine du corridor devant eux. Une nouvelle fusillade s'engage. A un moment donné, à cause d'un tir manqué de Kale une volée d'aiguilles frôle la tempe d'un soldat pour aller crever une conduite trop frêle qui courait près du plafond : un jet de vapeur et de gaz en fuse, le garde pousse un cri et s'effondre ébouillanté, les autres sont pris d'affolement et de quintes de toux, et une sirène d'alarme commence à corner aux oreilles de tout le monde. La situation devient plus délicate à chaque seconde. Les PJ foncent en utilisant le chariot comme bélier. Kale est atteint par un tuyau coudé lancé à toute volée et s'affaisse contre le chariot, sonné ; il faut le traîner sur le chariot à côté des barils de fuel, tandis que Cyrus arrose d'une pluie mortelle les impériaux les plus proches. Les soldats semblent surgir de partout dans le corridor, à droite, à gauche... Cyrus n'a que le temps de convoquer sa magie pour noyer les soldats dans une nuit épaisse comme l'encre d'un poulpe céleste, tandis que les PJ se précipitent dans le hangar.
Une fois au vaisseau, Kale fait le plein en quatrième vitesse, couvert par Naomi au pistolet et par lady Blackbird qui est entrée dans le vaisseau et s'est installée au canon, tandis que Cyrus se rue vers le poste de pilotage...
Enfin La Chouette a repris vie. Le moteur grondant et pétaradant, l'aéronef cabossé s'est ébranlé, mais quelque chose a stoppé net son élan : nos héros ont oublié d'ôter les crochets d'arrimage ! Kale ressort précipitamment, saute sur la frêle passerelle métallique en se retenant à la rambarde et ôte les crochets en quelques gestes précis. Malheur, un tir d'aiguilles l'a atteint au bras droit, et voici que le vaisseau décolle, porté par une bourrasque ! Kale s'est jeté vers l'habitacle, mais, insuffisamment stabilisé, son corps se balance dangereusement vers le vide... Cyrus ne peut quitter les commandes, lady Blackbird est occupée à canonner les impériaux et Naomi se précipite, déjà trop tard peut-être... mais voici que deux mains surgies de nulle part agrippent Kale et le tirent vers sa vie sauve ! C'est Snargle, qui était resté tout ce temps caché dans l'un des compartiments secrets de contrebande de La Chouette.
Libres et sains et sauf à quelques aiguilles près, lady Blackbird et ses compagnons s'envolent à tout berzingue vers les terres libres, loin des mariages arrangés et des geôles impériales, en quête du roi-pirate Uriah Flint...
Bilan : environ deux heures de jeu, et tout le monde s'est bien amusé, y compris l'amie qui découvrait le jeu de rôle. Ça n'a pas arrêté une minute, je suis crevé mais j'ai le sentiment d'avoir réussi à imprimer un bon rythme à l'ensemble en relançant dangers et péripéties régulièrement, aidé par les PJ qui n'ont pas été en manque d'idées et par les aléas des jets de dés qu'il était amusant d'interpréter pour voir ce qui avait pu mal tourner. Le système, réduit aux traits et étiquettes et à un seul type de jet, est d'une légèreté qui a plu à tout le monde. Tant pis provisoirement pour les clefs et les secrets : ce sera peut-être pour une prochaine partie. Pour le moment, le même groupe me réclame plutôt un autre Cthulhu ou un autre Kosmos.
Oh, et l'un des joueurs vient de m'envoyer un compte rendu de la partie sous la forme de cinq pages de nouvelle. Visiblement, oui, ça lui a bien plu aussi !
