"SA VIE:
Nous n’y reviendrons pas, elle est connue... Du moins jusqu'à la mi-2013.
Mais depuis ?...
Aurore s’est pendant quelques temps, par la force des choses, consacrée à répondre aux très nombreuses sollicitations dont l’Administration française a le secret afin, inlassablement, de raconter toujours la même histoire, celle des odieux méfaits dévoilés par la sinistre affaire dite de « Villegouge ».
Que de temps passé à répondre à des interrogatoires de plus en plus incisifs d’un aéropage de plus en plus dense d’experts, de contrôleurs, de rapporteurs et autres juges, ceci jusqu’à la nausée.
Bien seule de plus, dans cet exercice : Tellier n’était plus le même homme, très sérieusement atteint dans sa chair mais aussi psychologiquement, il lui arrivait bien souvent de sembler perdu dans ses pensées, recroquevillé dans son fauteuil roulant, depuis qu’un coup de carabine l’avait privé de l’usage de ses jambes…
Brochard n’en parlons pas. C’est sans doute le plus malin du lot. Il a eu tôt fait de payer un avocat pour le représenter à toute audience, préférant passer son temps à conter fleurette dans les vignes du Bordelais à Manon, une jeunette de 20 piges qui a bien vite pris la place d’Anaïs, sous le regard désormais complice de Nadine. La gendarmerie est pour lui un lointain souvenir.
C’est donc seule, certaine de son fait, qu’Aurore a voulu affronter la tempête...
Enfin, ça c’était le plan, mais comme le disait toujours Tellier, un plan, ça marche… en théorie.
En pratique, Aurore a craqué.
Un matin, sans prévenir, c’en fut trop. Pas du tout comme dans les films ou les polars de gare, non : Aurore s’est levée, habillée pour se rendre à un énième interrogatoire et puis, se tenant devant la porte d’entrée de son deux pièces bordelais, les clés dans la main, s’est simplement et littéralement effondrée.
Elle a pensé à son frère, dont les nerfs avaient lâchés aussi il y a quelques temps et ne put s’empêcher de songer qu’il y avait peut-être quelque chose d’atavique là-dedans.
Aurore a passé 48 heures sous la couette, sans que son téléphone ne sonne, sans que personne ne s’inquiète de son sort.
C’est finalement Matta qui la contacta : « Alors Huard ? on fait la grasse mat’ ? »
C’était le 3 mars 2015, un mardi. La coupe était pleine.
Aurore expédia Matta, l’invitant à aller se faire foutre, fourra quelques affaires dans un grand sac de sport (une petite pensée pour Sophie Ianski au passage), se saisit d’une enveloppe kraft qui trainait dans sa table de nuit, et partit en direction de l’aéroport.
L’enveloppe contenait son dossier d’inscription à un stage de découverte à Quantico, son rêve de toujours, qu’elle n’avait pu jusqu’alors réaliser puisqu’accaparée par toutes ces obligations administratives.
..Elle débarqua aux US le vendredi 12 mars 2015.
Aurore a alors découvert une tout autre manière de penser et d’agir : les portes qu’elles pensait verrouillées à double tour se sont ouvertes, ce qu’elle imaginait être des écueils infranchissables (‘une carrière au FBI est réservée aux citoyens US’) furent levés de manière presque magique (‘tout à fait, mademoiselle, nous allons donc solliciter votre naturalisation, qu’en dites-vous ?’). Aurore pu rejoindre l’Académie de Quantico dès le mois de novembre 2015 !
Elle s’est particulièrement bien acclimatée à la vie américaine et apprécie, à son grand étonnement, cette vision simple (auparavant elle aurait dit ‘simpliste’) des choses.
Elle a informé Matta que désormais il ne fallait plus compter sur elle d’un simple mail, et a adressé un court message à Tellier pour lui expliquer son cheminement (en l’invitant à adresser ses ‘salutations’ à Brochard..).
Mais les fêlures sont toujours là…
SON "DIRTY LITTLE SECRET"
Oui, oui…. Aurore Huard est bien placée pour le savoir : ce qu’on enterre, même profondément, finit toujours par remonter à la surface, un jour ou l’autre.
Et ce jour-là en fut un comme un autre, rythmé par des cours dispensés à Quantico (passionnants) et des exercices (exigeants).
Sans doute avait-elle, la nuit passée, mégoté sur son sommeil (voire abusé de la m**ju**a), mais il lui a bien semblé, jetant un œil par la fenêtre de la salle de cours, voir passer sur la pelouse du campus un homme à la démarche hésitante, vêtu d’un imperméable défraîchi (alors que le soleil brillait). Il était loin, à bien une cinquantaine de mètres.
Mais ce regard qu’il lui lança… ces yeux verts impénétrables...
Son sang s’est glacé, ses boyaux noués.
Elle n’a pas poussé de hurlement, ne s’est pas levée tremblante… non, rien de tout ça : Aurore savait que c’était impossible, mais que cela ne signifiait qu’une chose : les traumatismes de Villegouge l’avaient suivie et n’étaient pas restés coincés dans les dossiers poussiéreux de la gendarmerie bordelaise.
Bien sûr, Aurore, que croyais-tu ? Ils ne sont pas remisés dans des dossiers, ces traumatismes, mais se trouvent juste là, bien au chaud, dans ta cervelle… et de temps en temps, tu les entends se manifester.
Toc ! Toc !..."