Ci-après, un CR d'une chronique solo de Vampire le Requiem. Il s'adresse sans doute plutôt à des joueurs qui connaissent déjà un tout petit peu cette étonnante pratique rolistico-onanique, mais pour les curieux, il existe d'excellents tuto, soit en vidéo, ici ou ici, soit sur divers blogs, français ou anglais, comme celui-ci, très didactique. On a aussi un fil dédié sur casus no, ici.
Pourquoi ce CR, du coup ? D'abord parce que j'ai souvent été intéressé par la façon dont les autres soloistes font les choses, donc je me dis que ça peut intéresser d'autres gens de voir comment, moi, je procède pour générer une histoire sans MJ, de la préparation à la session proprement dite. Ensuite parce que je voulais partager mon usage de quelques outils pas forcément très connus, et que j'aime bien, au premier rang desquels ont trouve The Adventure Crafter, Narata Storytelling Cards et ma récente découverte de Tourniquet, un moteur solo très futé pour Vampire la Mascarade.
Voilà voilà.
Certains éléments sont dans des balises spoiler. Ce n'est pas interdit de les ouvrir, mais ce sont des éléments annexes qui ne sont pas forcément indispensables pour suivre le CR. A regarder si vous en avez le temps ou l'envie.
Je fais une présentation du cadre dans ce premier post, la suite sera pour demain ou après-demain. Sachant que si je m'apprête à jouer une longue Chronique, je ne ferai un CR ici que des premières sessions, histoire de montrer aux curieux comment ça se passe, par chez moi.
Liobbe
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Vingt-cinq ans auparavant, la Peste Noire, venue d'Orient, apparue à Marseille, remontée vers le Nord, suivant les routes et les fleuves, a ravagé le monde chrétien. La pestilence resurgit régulièrement depuis, misère et deuil dans son sillage, propagée par les voyageurs et les compagnies de mercenaires.
Après le désastre de Poitiers et l'humiliant traité de Brétigny, le roi de France a redressé la tête et la guerre se poursuit, pour le malheur des pauvres gens, entrecoupée de trêves plus ou moins durables. Ambiance de fin du monde, les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, la Guerre, la Maladie, la Famine comme signes des temps.
Liobbe, mon personnage, était partie en pèlerinage vers l'abbaye de Sainte Apolline, avec son père, le chevalier Enguerrand de Vyones, castellanus (châtelain) du vicomte d'Ardaigne. Un voyage d'une quinzaine de jours, aller et retour, à pied, sans suite et sans bagage, pour remercier Dieu d'avoir épargné la vie de l'épouse d'Enguerrand, Éloïse, après l'accouchement difficile de son premier fils, Jehan.
Liobbe est une jeune femme assez typique de la petite noblesse de province, qui a fêté il y a peu son dix-huitième anniversaire. Plutôt réservée, polie et bonne avec ses gens. Inspiré par le jeu vidéo A Plague Tale, j'imagine une relation forte avec son père. Enguerrand avait fait son deuil d'un fils pour héritier et par jeu, sous le regard réprobateur de son épouse, donné à sa fille les prémisses d'une éducation d'écuyer. Ils chassaient ensemble, père et fille, il lui apprit à manier l'arc et l'épée, à grimper aux arbres et toutes sortes de choses auxquelles une jeune femme convenable n'aurait pu raisonnablement aspirer.
Liobbe a également reçu, bien sûr, l'éducation d'une jeune noble de son temps. Elle est instruite en religion, sait coudre et tisser, connait les herbes et les remèdes, sait monter à cheval, lire, écrire et tenir son rang. Elle devait se marier à son retour, avec un chevalier d'excellente réputation, qu'elle n'avait rencontré qu'à deux reprises mais qui n'était ma foi pas vilain et semblait tout à fait aimable.
La pestilence resurgit en Ardaigne au cours de leur voyage. Ils traversèrent un village où la maladie avait fait des ravages, probablement amenée par des routiers anglais en maraude dans la région. Deux nuits plus tard, alors qu'ils avaient dressé leur campement au bord de la Dièvre, espérant limiter les risques de contracter la maladie en évitant désormais les communautés, Liobbe et son père furent attaqués par un vampire sauvage. Enguerrand combattit vaillamment mais fut tué, et le vampire emporta Liobbe jusqu'à sa tanière, au cœur de la forêt.
Le vampire n'avait pas l'intention de se nourrir d'elle. Repu après l'assassinat d'Enguerrand, il envisagea de faire de Liobbe sa servante, une Goule, en la liant par le sang. Il prévoyait de l'utiliser pour piéger les Mortels, comme appât pour sa chasse. Peut-être ce monstre, solitaire depuis trop longtemps, était-il également animé par le désir pervers d'avoir un témoin pour sa malédiction. Il ligota la jeune femme terrorisée au fond de son refuge et l'obligea à boire son sang maudit.
Mais la nuit suivante, Liobbe fut gagnée par la fièvre, et les premiers bubons apparurent sur son cou et sous ses aisselles : la jeune femme avait contracté la peste au cours de son voyage.
Sans doute le sang maudit du Vampire aurait-il permis à Liobbe de surmonter le mal, et sans doute le vampire lui-même n'aurait-il pu contracter la maladie, mais comment aurait-il pu le savoir ? Il n'était pas plus éclairé que les hommes de son temps. Le vampire fut si terrifié à l'idée d'être contaminé qu'il s'enfuit, abandonnant Liobbe à son sort dans la grotte. Et elle mourut, seule et terrifiée.
Du moins aurait elle dû mourir.
Dans Vampire, pour qu'un vampire naisse, il faut qu'un autre vampire vide le Mortel de son sang avant de lui donner le sien. C'est l'Etreinte. Mais je reprends une idée que j'aime beaucoup dans Vampire, le Requiem, développée dans le supplément Half Damned : les Revenants.
Il arrive, rarement mais cela arrive, que ceux qui ont simplement bu le sang d'un vampire s'éveillent dans les nuits qui suivent leur trépas. Ce sont des Damnés inachevés, qu'on appelle Revenants. Vampires imparfaits, ils ont une faiblesse bien particulière : leur corps consomme durant leur sommeil diurne toute la Vitae qu'ils ont absorbé au cours de la nuit précédente. Ils s'éveillent donc chaque soir assoiffés, au seuil de la Frénésie. Ces demi-vampires survivent rarement bien longtemps, mais ils peuvent être étreints par un vampire et certains peuvent ainsi gagner leur place dans la société de la Nuit.
Liobbe fut donc emportée par la fièvre et ressuscita la nuit suivante, assoiffée, à moitié folle, sans contrôle d'elle-même, sans guide, toute entière soumise à la bestialité que le sang vampirique avait éveillé en elle. Il lui fallut plusieurs nuits pour reprendre le contrôle de ses pensées. Elle sortait la nuit venue, chassait de petits animaux, se nourrissait d'eux, avant de retourner à sa tanière, fuyant le soleil par instinct. Chaque soir, elle se réveillait l'esprit embrasé par une soif dévorante.
Liobbe ne comprend pas ce qu'elle est devenue. Elle pense probablement qu'elle est maudite, qu'elle a croisé le chemin du Diable ou de l'un de ses serviteurs. Elle a entendu ces histoires sur les monstres buveurs de sang, vampires et lamies, qui se nourrissent des chrétiens lorsque le soleil se couche, des loups-garous qui chassent en meute et dévorent les voyageurs solitaires, des fantômes et des sorcières. Elle est évidemment remplie de superstitions.
Pour autant, qu'elle comprenne ou pas, la Soif est là. Elle doit se nourrir. Liobbe est un vampire et si elle est sans doute perdue et effrayée, elle ne se morfond pas. J'imagine quelque chose de plus proche de Dracula que d'Entretien avec un vampire. La transformation est autant psychologique que physiologique : un vampire nouveau-né sait instinctivement qu'il doit se nourrir, comment il doit se nourrir, et ce qui peut calmer sa Soif. La Bête sait ce dont elle a besoin pour survivre, après tout"
En solo, le personnage doit être proactif. Pas question que Liobbe reste dans sa forêt en attendant que quelque chose se passe.
Liobbe craint que le monstre qui a tué son père et l'a emportée revienne dans sa tanière. Elle doit trouver un autre refuge contre la morsure du soleil. Surtout, si elle est bien maudite, comme chrétienne, elle pense avoir besoin de l'aide d'un prêtre. Quand bien même sa vie passée lui semble de la même étoffe que les songes, elle ne veut pas oublier ce qu'elle était et va tenter de retourner chez elle, à Vyones, se réfugier dans la demeure de sa famille et parler au curé qui se trouve là-bas, qui l'a baptisée et qu'elle connait bien. Après tout, ce n'est pas sa faute si elle a croisé le chemin du Diable, elle n'a rien fait de mal.
Pour le moment.
La Chronique
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J'envisage une longue Chronique, qui pourrait m'emmener jusqu'aux Nuits Modernes, avec une Liobbe qui aurait traversé les siècles et serait devenue une Ancienne. Je pourrai éventuellement jouer ses descendants, si je me lasse, si elle meurt ou si la fiction la rend injouable.
Je ne crée pas précisément l'environnement avant de jouer, mais je prends quelques notes. J'imagine qu'il y a une communauté organisée de Vampires a Terme, la principale cité de la région et le siège du vicomté d'Ardaigne. Il y a aussi des Vampires sauvages, vivant dans la forêt, comme celui qui a transformé Liobbe. Des loups-garous, des sorciers, des revenants, des lieux hantés et des choses encore plus abominables qui se cachent dans les ombres. Il y aussi les fléaux du temps : la pestilence qui se répand dans le pays, l'Inquisition, la proximité des combats de la Guerre de Cent ans. L'Ardaigne est parcourue par les routiers et les mercenaires, menacée par les Anglais d'Aquitaine. La peur révèle le pire de l'humanité.
Aspects de la Chronique
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- De Mascarade, je reprends la révolte de jeunes vampires (que les vampires appellent rebellis) contre leurs Anciens (leurs domini). Les vampires les plus puissants se barricadent derrière les murailles des cités qu'ils contrôlent encore. La peste et la guerre ont déstructuré la société mortelle et par rebond, la société de la Nuit.
- Des meutes de jeunes vampires assoiffés du sang de leurs Anciens battent la campagne et les châteaux ne forment plus des abris sûrs contre leurs crocs. De nombreux vampires châtelains se sont par conséquent réfugiés en ville, augmentant la pression sur le Troupeau.
- La pestilence qui ravage le royaume, et au-delà l'Europe, depuis 1348. La Grande Peste a prélevé un quart de la population, mais les épisodes pesteux sont endémiques. Villages déserts, châteaux abandonnés, champs en friche.
- La Guerre de Cent ans. En Ardaigne, elle est très proche, et le pays est régulièrement pillé par des bandes de routiers issus des Grandes Compagnies ou dévasté par les chevauchées anglaises.
- Penser "Quatre Cavaliers de l'Apocalypse" : la Conquête, la Guerre, la Famine et la Maladie.
- Religiosité fiévreuse. Pénitents, inquisition, persécutions. Les Juifs sont particulièrement frappés.
- Redistribution des richesses : les survivants profitent du vide laissé par les disparus. Paradoxalement, les paysans, moins nombreux, sont plus riches qu'auparavant, les nobles peuvent s'emparer des terres de leurs voisins défunts, les moins bien lotis peuvent profiter d'opportunités inimaginables trente ans auparavant. Cela vaut pour les Damnés - un rival massacré par L'Inquisition ou les rebellis, c'est la possibilité d'agrandir le territoire de chasse pour un vampire plus prudent ou plus chanceux.
- La cité au cœur de l'organisation des vampires. L'organisation féodale est l'exception plutôt que la règle. Le Prince règne en tyran.
- Terme, où se trouve le château du vicomte d'Ardaigne, est une ville importante. Cathédrale. Cour comtale. Cour des Miracles. Roi des Gueux. Archevêque. Deux couvents et une abbaye. Des bourgeois organisés. Une communauté juive. Une milice citadine. Des marchés.
- Paysage de vallées encaissées, creusées par deux rivières, l'Argance et la Dièvre, relief accidenté, de plateaux et de causses, de collines et de montagnes basses, nombreuses cascades, épaisses forêts.
- Tous les tropes de la littérature gothique que je dois avoir à l'esprit.
Tropes du Gothique en littérature
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Fiche de Liobbe, Requiem 2ème édition
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Journal de campagne
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Tourniquet, moteur solo
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La principale idée du moteur solo de Tourniquet, c'est une piste appelée "Scale", que je traduirai par "Fatalité". Cette échelle de Fatalité ira de -6 à +6, 0 étant la position par défaut. Le principe est de lier les tests de compétences à cette piste, pour la faire monter dans les positifs (la "Grâce") ou la faire descendre dans les négatifs (le "Tourment"). Je ne rentre pas dans les détails de ce que l'auteur propose, puisque c'est lié au système de résolution de Mascarade (V1 et 20ème anniversaire) mais ci-après, mon adaptation pour Requiem.
La Fatalité commence à zéro. Elle évolue, vers le haut ou vers le bas, avec chaque jet de dé. Dans Vampire le Requiem, le système est simple : pour réussir une action, on établit une difficulté et on lance Attribut + Compétence d10. Si un seul dé fait 8 ou plus, l'action est réussie. La qualité est évaluée par le nombre de dés qui ont fait 8 ou plus.
- Si l'action est réussie, la Fatalité monte de 1. Un succès exceptionnel (5 succès ou plus) fait monter la Fatalité de 3.
- Si l'action est un échec, la Fatalité descend de 1. Un échec critique fait descendre la Fatalité de 3.
Quand la Fatalité est entre -2 et +2, c'est une teinte narrative, qui va m'aider à colorer les Oracles, en négatif ou en positif, plus ou moins favorable à mon personnage.
Quand elle passe à -3 ou +3, la situation se dégrade ou s'améliore nettement. A partir de ces paliers, j'ajoute ou soustrait 1 à tous ses groupements de dés, selon si la Fatalité est positive ou négative. De même, en cas de tirage d'une carte Muses et Oracles pour avoir une réponse Oui/Non, je tire deux cartes et je retiens la réponse la plus défavorable ou la plus favorable au personnage, selon si la Fatalité est négative ou positive.
A -6 ou +6, il se passe quelque chose, puis la Fatalité revient à 0.
- Si c'est -6, je lance un dé dans la table des Tourments, ci-dessous. Ce sont plus ou moins des Moves de MC d'Apocalypse World et assimilés. Pour ceux qui connaissent, ce sera l'équivalent narratif d'un Hard Move de MC.
- Si c'est +6, je fais un Move unique, que j'intitule : "Accorde-lui ce qu'elle désire, ou croit désirer, puis réfléchis aux conséquences possibles".
Tourments (1d10)
1 - Révèle un secret dangereux à la mauvaise personne.
2 - Mets-la en danger, physiquement ou émotionnellement.
3 - Prends lui quelque chose.
4 - Retourne ses actions contre elle.
5 - Exploite ses faiblesses (secrets, consciences, aspirations, serviteurs).
6 - Annonce une menace imminente.
7 - Dégrade la situation.
8 - Offre-lui ce qui ressemble à une opportunité, puis fais-la payer.
9 - Révèle-lui une vérité dérangeante, sur elle-même ou sur le monde.
10 - Montre-lui le visage de la Bête.
Voilà, voilà. La suite dans la semaine.