Altaïr
Pendant 40 jours, notre navire s’est traîné à petite vitesse, suivant le grand fleuve à travers un paysage de collines autrefois boisées. L’exploitation intensive des richesses du sous-sol les a déboisées et il reste peu d’arbres aujourd’hui.
Ayant appris que les régions que nous traversons étaient sous le contrôle de seigneurs de guerre assez vindicatifs, Bauer Longue Epine (c’est le nom du garde du corps hobgoblin de Dame Kelroth que notre MJ a fini par nous livrer

) a préféré nous faire avancer à une altitude prudente, ne nous faisant toucher terre qu’en de rares occasions. Il a l’air assez inquiet, à la fois de la longueur de notre voyage et du sort de Dame Kelroth.
Tout au long de ces 40 jours, nous avons pu réparer le navire du mieux que nous le pouvions et je me suis initié à ce genre de mécanique, nouveau pour moi. Les réparations sont presque terminées et il ne nous reste plus qu’à rajouter quelques pièces indispensables pour voler dans l’astral, que nous trouverons dans la plus grande ville du domaine, notre destination.
Durant le voyage, nos propriétaires–exploitants, Mr Key et Pilou, ont pris la décision d’aider Bauer Longue Epine a retrouver Dame Kelroth, prisonnière des pirates, et donc de l’accompagner sur Altaïr, l’astre où se tient son domaine. Cela convient très bien à tout le monde, enthousiasmés que nous sommes par la perspective unique de découvrir l’astre d’une maison draconique.
Pendant les deux derniers jours, dans la capitale du domaine d’Ankerthief, en attendant la fin des réparations, le cirque a donné des représentations, histoire de faire rentrer un peu d’argent dans les caisses. Nos salaires ne nous ont pas été versés depuis longtemps mais les propriétaires-exploitants sont restés sourds aux justes revendications de leurs salariés prolétaires, sous le fallacieux prétexte que le cirque n’avait pas eu d’activité et que nous vivions sur les fonds de Dame Kelroth.
Encore un exemple de cette surdité patronale égoïste qui fait que celui dont les mains donnent du pain en manque souvent lui-même, et l’arrose de ses larmes encore plus que de sa sueur.
Puis ce fut l’envol et un voyage de 5 jours dans l’astral, au milieu de phénomènes tous plus merveilleux les uns que les autres, pour arriver sur Altaïr.
Altaïr est une petite boule blanche et bleue, très froide, entourée d’une bulle de singularité qui contient son atmosphère et un peu de chaleur et protège ses habitants.
C’est un astre froid, piqué de hautes montagnes et creusés de profondes vallées encaissées où roulent des bancs de nuages. Des palais et des cultures en terrasse parsèment les flancs des montagnes, mais ce qui frappe le plus, c’est la quantité invraisemblable d’oiseaux, de toutes formes et de toutes tailles, qui vit sur Altaïr. Altaïr est une volière géante qui abrite du petit colibri à l’aigle géant, en passant par toutes sortes d’oiseaux merveilleux comme un oiseau à 4 ailes ou un autre dont le plumage s’enflamme mais ne brûle pas quand il vole.
Nous avons piqué vers un grand palais à flanc de montagne et nous sommes posés sur un astroport à ses pieds. A notre arrivée, une horde d’humanoïdes à tête d’oiseaux est apparue pour prestement installer un accueil en fanfare, avec tapis rouge et banquet, pendant qu’une file de palanquins portés par des colosses à tête d’oiseaux de plus de 2 mètres sortait du palais pour venir à notre rencontre.
Bauer avait l’air un peu inquiet. Une grande dame est sortie du premier palanquin, très belle, hautaine, entourée de demoiselles d’honneur, que Bauer a identifié comme Dame Soyane d’Istil, première dame de Dame Kelroth.
Mr Key et Pilou ont suivi Bauer à sa rencontre, pour ma part j’ai décidé de rester à bord avec l’équipage, mal à l’aise devant ce déploiement de richesses et d’inégalité.
Quand sous mes pauvres yeux la richesse, l’oisiveté, le vice, se conjuguent au luxe barbare, et que ce qui devrait être la récompense de l’industrie n’est prodigué qu’aux sangsues du peuple, encore plus engraissés du malheur de ce dernier que du luxe insolent de leurs repas, je regrette encore plus que d’habitude la vie des combinats où n’existent d’autres distinctions que celles des talents et de la vertu.
Bauer a rapidement résumé la situation à Dame d’Istil, étonnée de ne pas voir Dame Kelroth. Apparemment personne n’était au courant de l’attaque subie par le vaisseau et aucune demande de rançons n’a été reçue.
Quand Mr Key a pris la parole pour s’adresser directement à Dame d’Istil, celle-ci a eu l’air aussi étonnée que si un ver de terre lui avait déclamé un poème. Apparemment, elle avait pris Mr Key pour un serviteur (il a une tête d’oiseau après tout), et sur Altaïr il n’est pas convenable qu’un larbin s’adresse en premier à ses supérieurs, à moins d’être fatigué de la vie, bien sûr. Surtout si le supérieur en question est un dragon.
C’est ainsi que les scélérats, au lieu de s’émouvoir des malheurs que leur seul luxe a causé, les aggravent par leur dédain.
Apprenant que Mr Key et Pilou étaient des invités de Dame Kelroth à bord de son vaisseau, elle leur a ordonné comme on aurait ordonné à un chien de la suivre jusqu’au palais pour rencontrer le Maître des secrets du domaine, puis leur a tourné le dos sans plus attendre.
Toute la foule de serviteurs est restée en plan, sans savoir quoi faire de la petite fête prévue, visiblement la prise d’initiative n’est pas leur fort et ils ne savent qu’obéir aux ordres, nous avons donc profité de leur indécision pour leur faire charger à bord alcools et victuailles et assurer notre popularité auprès de l’équipage après tous ces jours de rationnement.
Pendant ce temps, Mr Key et Pilou suivaient la procession de Dame d’Istil au Palais, jusqu’à un petit salon où attendait, un humanoïde à tête de hibou, le Maître des Secrets. En quelques mots, Dame d’Istil lui a dit que Dame Kelroth avait été enlevée et lui a ordonné de se débrouiller de la retrouver, puis elle a quitté la pièce sans se soucier du comment. Le Maître des Secrets avait l’air d’être habitué à ce genre de comportement, en tous cas il n‘a rien laissé paraître. Pilou a créé une illusion pour lui montrer l’embuscade et la capture de Dame Kelroth. Le symbole des pirates a été identifié, c’est la marque de Guldur Cassiop, un membre de la Ligue Rouge, une confrérie de pirates de l’astral. Mr Key et Pilou ont fait remarquer qu’il s’agissait d’une embuscade bien préparée et que donc, quelqu’un avait fourni des informations aux pirates, puis ont fait des offres de services pour les recherches. Le Maître des Secrets les a remercié, a indiqué qu’il prenait leur offre en considération, mais qu’il allait d’abord commencer par actionner ses contacts avant d’agir. Il pense que, pour sa part, Dame d’Istil va en référer au conseil de la maison du Haubert d’Argent, et peut être même que l’affaire remontera jusqu’au Patriarche des Dragons.
A la suite de cette entrevue, le Maître des Secrets a quitté Altaïr dès le lendemain et nous avons organisé la vie à bord, faisant descendre les animaux pour qu’ils puissent se dégourdir les pattes. Après que le brontosaure ait décoré la piste de l’astroport de quelques étrons de taille fort respectable, les autorités en charge ont commencé à chercher une solution aux problèmes posés par notre présence. Nous avons reçu la visite du Maître des Soins puis du Maître Armateur, qui s’est désolé des dégâts subis par le navire. Celui-ci a été mis en réparation et l’ordre a été donné de nous installer dans une maison pour invités, un petit hôtel particulier au milieu d’un parc.
Le bruit incessant des oiseaux est devenu fatiguant à la longue mais nous étions bien installés. Nous n’avons reçu aucune visite pendant plusieurs jours, si ce n’est celle de quelques Altaïri, les hommes oiseaux serviteurs, pour amener des vivres ou nettoyer la maison d’hôtes.
Enfin, une nuit, alors que Mr Key rêvassait sous la galerie qui court autour de la maison, il a vu un Altaïri, blessé et essoufflé, se précipiter vers lui et s’effondrer à ses pieds en lâchant un cristal de communication. L’Altaïri était poursuivi par une douzaine d’autres humanoïdes. Nous l’avons fait entrer dans la maison et Pilou a jeté un sort pour détourner l’attention de quiconque passerait devant la pièce où nous nous tenions. La vie de l’Altaïri a pu être sauvée de justesse mais il est resté inconscient.
Le cristal contenait un hologramme, un message du Maître des Secrets, qui tenait en quelques mots :
« Dame d’Istil a trahi. Fuyez aussi vite que possible. Essayez de rejoindre Solitude. »
A suivre …