Une fois les sorciers rouges sortis de ma vue, je tourne mon attention vers le sanctuaire où ils s'étaient réfugiés. Deux grands monolithes encadrent sa porte de pierre, décorés de l’image d’un jaguar portant six serpents. Je m’en approche pour en lire les inscriptions. « Shagambi nous enseigne à combattre le mal avec honneur ». Tiens, voilà qui diffère sensiblement des autres. De l’honneur, chez un dieu scélérat ? J’essaye de pousser la porte mais Apdrag doit venir me prêter main forte pour qu’elle daigne s’ouvrir. Au-delà, une volée de marches descend vers une salle rectangulaire au sol couvert de mousse. Quatre statues de guerriers omuéens en gardent les quatre coins, autour d’un puits recouvert d’une grille. Chacune paraît tenir une lance, bien qu’aucune arme ne soit plus visible entre leurs mains. De l’autre côté, un piédestal s’élève. Aucun cube n’est posé dessus. Derrière lui, le bas-relief représente le même kamadan que les monolithes de l’entrée. Cette fois, il combat Nangnang, le grung qui lui a volé sa lance sacrée. À gauche de la fresque, un étroit couloir permet d’accéder à un escalier.
Je m’approche du puits en sondant le sol devant moi. Il est profond, une vingtaine de pieds à vue d’œil. La grille ne doit pas être faite pour en barrer l’accès car un homme pourrait se glisser facilement entre les barreaux. Malheureusement, les parois sont un peu trop lisses pour qu’Eku ou Apdrag les escaladent sans peine, mais rien qui nous retienne moi et ma fidèle corde. Je descend, pose le pied au fond et le sens aussitôt s’enfoncer sous mon poids. Un bruit de métal rouillé se fait alors entendre à ma droite. La pièce est circulaire. Deux accès diamétralement opposés encadrés par des arches de six pieds. Je recule vers celle de gauche sans lâcher l’autre des yeux. Un coup d’œil rapide dans mon dos m’apprend que ce passage coudé aboutit à l’escalier qui longe la fresque au-dessus. « Apdrag, rapplique », pensé-je si fort qu’il m’entend et accourt avec Eku, juste à temps pour voir passer, à pas lents, le premier des quatre gladiateurs d’argile que j’ai libérés. « Combattre le mal avec honneur ». La fuite paraît exclue. Mais la retraite stratégique ?
— Apdrag, tu crois que tu peux tenir ce couloir quelques temps ?
Il acquiesce.
— Eku, reste derrière lui, et remonte à mon signal !
La lumière n’atteint pas le fond de ce puits, c’est ma chance et leur malheur. Je longe la paroi pour me trouver hors de leur vue. Apdrag est à présent leur seule cible et ils ne m’ont pas l’air tout à fait assez finaud pour déjouer notre piège : ils se précipitent tous les quatre vers le courageux saurien et se gênent sous l’arche. Je les aligne depuis ma planque, attends qu’ils me repèrent et lâche toute la puissance de l’anneau sur les quatre à la fois avant de saisir la corde pour remonter fissa. Trois d’entre eux me suivent, l’un par la corde, les deux autres par le mur, comme de fichues araignées. En haut, Eku m’a rejointe comme prévu. Je sectionne rapidement la corde, le premier s’écroule et je jette un œil à ma chère guide. Elle a le sourire aux lèvres, le regard déterminé. Nous sautons ensemble, chacune sur l’un de ces colosses aux pieds d’argile, qui dévalent la pente sous nos poids plumes.
En bas, Apdrag tient bon, même sans son bouclier. Le couloir est étroit et la lance du gladiateur n’est pas l’arme idéale. Eku maintient le sien au sol et le larde de coups. Moi, j’ai plus de mal. Il m’a dégagé comme un fétu. Heureusement, il peine à me distinguer dans l’obscurité. Le quatrième larron se relève. Je préviens Eku mais elle est trop embarrassée de son adversaire pour voir venir le coup et il lui embroche l’épaule. Elle est toujours debout, Dieux merci, mais la voilà aux prises contre deux de ces brutes. Elle ne tiendra pas très longtemps.
À ce moment, un éboulis d’argile retentit depuis le couloir, d’où Apdrag émerge, victorieux et extatique, un tout nouveau bouclier à la main qu’il interpose alors qu’une lance filait vers la gorge d’Eku. Jouant des pieds et de sa petite taille, il se débrouille pour placer notre guide dans son dos. Pendant ce temps, j’en prends plein la calebasse. Ma tête a dû doubler de volume, le sang me bat les tempes et mes oreilles sifflent pire qu’un chœur de chwingas. Dix secondes de plus à ce régime de pêches et je me retrouverai sur le carreau. Depuis le début de ce duel, j’attends une ouverture qui ne vient pas. Le colosse se protège bien derrière son bouclier qu’il m’envoie dans la figure à chaque fois que j’esquive sa lance. Heureusement, il n’a pas remarqué mon coup de vice : la belle plaque de glace vers laquelle je l’attire et sur laquelle il glisse pour s’écraser violemment au sol. Je n’en demandais pas plus. Il ne se relèvera plus.
Il n’en reste plus qu’un face à Apdrag et Eku, qui ne me voit pas venir. Je saisis son épaule et le fait pivoter, la figure droit sur ma lame. La dague s’enfonce dans son orbite de verre. Il explose en mille morceaux à son contact. Nous soufflons tous les trois un grand coup.
— Plutôt honorable, non ?
Je ramasse calmement les quatre lances qu’ils ont laissé derrière eux, ainsi qu’un bouclier. J’ai le sentiment qu’il me sera bien utile, on prend dans ces ruines un peu trop de coups à mon goût. Et puis Apdrag est enchanté de ces accessoires assortis.
Je remonte au niveau du sol et place sous le regard attentif d’Orvex les quatre lances entre les mains des statues. Le piédestal se met alors à vrombir et sa partie centrale s’élève alors soudain en tournant sur elle-même, comme un tire-bouchon sortant d’une bouteille. Là, bien logé dans la vis : le cube de Shagambi. Plus que sept.
Nous remontons l’avenue centrale avec prudence. L’attaque des Yuan-tis, hier soir, était une sérieuse mise en garde. Ils sont en terrain connu et paraissent privilégier l’embuscade. Impossible de baisser la garde. Mais si j’en crois Orvex, ils ne s’étaient jamais aventurés avant cela sur la rive ouest. Gageons qu’ils attendront quelques jours avant de recommencer.
Au bout d’un quart de lieue, nous parvenons à un autre campement au milieu des ruines. Des sacs éventrés autour de litières qui moisissent dans des tentes affalées. Au centre, un morceau de tissu jaunâtre flotte sur un pieu. Je m’en approche. L’étoffe est enroulée autour d’un parchemin, que je déroule avec précaution.
« Rue,
Denlin croit savoir où trouver l’œil de Zaltec ! Ce vieux bouc a déniché un obélisque au nord de la ville, qui marque l’entrée de la tombe des Neuf. L’œil devrait se trouver à l’intérieur, mais la porte est magiquement scellée. Nous pensons la clé cachée dans les sanctuaires.
Nous allons explorer les ruines. Avec un peu de chance, nous serons de retour ce soir. Le peuple serpent de Ras Nsi rôde, sois prudent. Si tu les aperçois, sonne le cor par deux fois, nous accourrons.
Pour le Jaune Étendard,
Seigneur Brixton »
Eh bien, on en trouve, des choses, dans cette tombe des Neuf. L’œil de Zaltec ? Qu’est-ce donc ? Aucun d’entre nous n’en a entendu parler. Tant pis. Au moins avons-nous un autre indice sur sa localisation proprement dite : un obélisque au nord de la ville. Avançons.
De l’autre côté de l’avenue, nous repérons un temple au toit plat, flanqué de deux monolithes comme à l’accoutumée. Un sanctuaire, certainement. La cour est encombrée de fougères. La porte principale est délicatement ornée d’un bas-relief sur lequel une sorte de lapin cornu charge un tout petit ours toutes griffes dehors. Un message en vieil omuéen vient s’y ajouter. « I’jin nous enseigne à suivre le chemin inattendu. » Il détaille ensuite l’histoire d’Ijin l’almiraj, qui a provoqué la fureur d’Obo’laka le zorbo en gâchant le ragoût d’Ubtao. Je pousse les portes.
Un dallage très complexe recouvre le sol de l’entrée. Chaque carreau représente un animal stylisé, zèbre, girafe, phacochère, tigre, singe, aigle, libellule et almiraj. Je jette un œil aux murs, évidemment percés de fentes. Un piège. Je décroche le bouclier de mon dos et m’en protège avant de poser un pied sur une première dalle. Je choisis celle qui représente l’almiraj… Tout se passe bien. Je tente alors de sauter sur la même représentation, à quelques mètres de là, mais elle s’enfonce sous mon poids et déclenche une volée de fléchettes. La plupart ricochent sur le bouclier mais l’une d’elles se plante dans mon épaule. Je sens instantanément le poison s’y répandre. Je grogne et sers les dents. [Kass comprend-elle le principe ? Insight DC15, 13+2 !] « Le chemin inattendu » est probablement celui qui ne se répète jamais… Je pose le pied sur un singe, puis un zèbre, un tigre, une girafe, un aigle… Plus de fléchettes. Mon épaule a viré au violet, mais la douleur est supportable à présent. J’enjoins mes compagnons à m’imiter, et nous voilà de l’autre côté, dans ce qui s’annonce comme un véritable labyrinthe.
Je pose ma main sur le mur de droite et me mets à le suivre diligemment, avec prudence. J’aboutis vite à un cul-de-sac, dont le fond est constituée d’une dalle qui ne m’inspire pas confiance. En l’examinant plus près, je distingue un mécanisme, et au plafond la lame qui certainement jaillit quand on l’actionne. Je continue ma route, toujours à main droite, jusqu’à aboutir après quelques détours à une porte, qui s’ouvre sur une petite salle occupée par un piédestal. Le cube d’I’jin est posé là, sans plus d’artifice. J’examine tout, le socle, les murs, le plafond en tous ses angles, sans rien trouvé de suspect. Je soulève le cube en tremblant, prête à bondir en arrière. Rien. Et de quatre. Il est temps de rentrer au camp.
[Le spectre de Dendar vient-il hanter Kass cette nuit-là ? 3, non.]
Ce matin, nous décidons de visiter le nord de la ville, vers l’obélisque dont parlait cette lettre mystérieuse. Sur le chemin, nous repérons le sanctuaire de Wongo, le rusé su. À l’intérieur, une énigme médiocre croit pouvoir nous arrêter ; elle a bien tort. Nous commençons à comprendre la logique de ses lieux, les sanctuaires ne devraient plus nous poser beaucoup de problèmes. [Le cinquième cube est récupéré (même six avec celui de Ras Nsi), les Yuan-tis passent à l’action. Agissent-ils tout de suite ? 6, oui.] Nous ressortons avec le cinquième cube, et c’est là que tout se complique : un détachement de Yuan-ti nous attend dehors. Ils sont nombreux, trop pour que nous puissions nous en sortir par le combat. Je lève et les mains et m’approche.
[Trois Yuan-Tis sont susceptibles de s’intéresser au sort de nos héros : Ras-Nsi, Fenthaza et Yarhu. Ras-Nsi a-t-il un projet pour Kass ? 4, oui. Fenthaza ? 5, oui, 14, mais, 5 contrechamp : ce n’est pas encore elle à la manœuvre ; Yarhu ? 1, non, mais : 11, et la lumière fut, il peut représenter une opportunité. Ce donc des yuan-tis fidèles à Ras Nsi qui se présentent ici.]
— Étrangers, le grand Ras-Nsi vous a convoqué en son palais.
— Maintenant ?
Je ne reçois pour toute réponse qu’un sifflement de mépris.