Deuxième et dernière session de ce qui devait être un petit intermède pour reprendre contact avec les règles et l'esprit du jeu avant le prochain gros scénario.
Nous reprenons le cours de l’aventure alors que le Scriptorium patauge encore dans le bras du Canard. S’étant fait une opinion et l’heure du déjeuner approchant, ils décident de rentrer au monastère. Ils ramènent donc la barque à Grenaudin, occupé à vider du poisson sous l'œil attentif et gourmand d’Herbert (un cochon porte manuscrit, pour rappel). Le pêcheur renouvelle ses inquiétudes, alors que les trois compères remontent les coteaux vers le double clocher qui marque leur clôture.
Sur place frère Barthélémy s’est enfin remis de ses maux de ventre, et tente de reprendre sa place pendant le déjeuner. Hélas au moment où il entre dans le réfectoire ce n’est pas la désirable lecture d’une épître il entend, mais une cacophonie chaotique : frère Ugolin est en train de poursuivre frère Abelart en le pinçant de toute part, alors que frère Cosme se roule sur la table en chantant “Pince-mi ! Pince-moi!” et que soeur Léontina (connue pour fuire le réfectoire de Notre-Dame de l’Encrier pour celui de Sainte-Garde) a mordu férocement Frère Lambert au postérieur et en semble inséparable. Les autres membres de la communauté tente vainement de maîtriser la situation, alors que le frère prieur est catastrophé.
Les membres du Scriptorium se rappellent en déglutissant qu’ils ont laissé tous les poissons “marqués” derrière eux, en cuisine…
Frère Fulbert décide de prendre les choses en main. Il est après tout le circateur de cette communauté, son légitime surveillant. Sa voix de stentor éclate en ordre sous la voûte et la moitié de la communauté se fige immédiatement. Seule sœur Léontina continue à mordre férocement le pauvre Lambert, désormais au visage rouge vermillon. Chacun s’emploie à l’arracher à sa proie, et dans un claquement sec de dents le pauvre moine mordu est enfin libéré.
Le frère prieur remercie Fulbert pour son intervention, non sans s’interroger sur la situation. Troublé, il ne prête pas attention à ce qu’il fait, et accepte volontiers l’assiette de bouillon fumant que lui tend soeur Célestine. Tout en le sirotant il écoute le rapport que lui dresse frère Isidore, jusqu’à ce que ses joues se mettent à rosir et ses yeux à se dilater. Il demande alors au frère de se tourner pour mieux lui indiquer la direction du bras du canard et, telle une vipère, se détend alors pour pincer le postérieur du malheureux. Frère Bathélémy intervient promptement et, tapotant le prieur de sa grande louche de fer, il arrive à le ramener à la raison.
Confus, le prieur décide d’emmener tout le monde en pénitence, à l’exception du Scriptorium qui a sauvé la situation. Il charge le bon Fulbert d’élucider cette histoire au plus vite, et la petite bande, renforcée de Barthélémy, se rend donc à la source de Diane.
La source est connue des érudits comme le site d’un ancien temple païen, du fait de quelques vieilles pierres et dédicaces latines présentes sur place. Pour les gens du coin elle est tout simplement la “Source de la Lua”, la Lune. Elle se trouve non loin de la confluence, et une vingtaine de minutes suffisent au petit groupe pour la rejoindre, non sans s’être préparé avant deux baluchons de “collations” et avoir emmené le Bestiaire.
Le groupe est accueilli par l’envol majestueux d’un héron. Un étang s’allonge paresseusement au pied d’une source glougloutante cernée de pierres moussues. Chacun se met à prospecter à sa manière. Le fond de l’écran n’est guère visible, et frère Isidore se met à faire le tour de l’endroit en retroussant sa coule aux genoux et pataugeant allègrement. Il découvre dans le sol mou de la berge de nombreuses traces d’animaux, dont celles d’un “gros chien”. De son côté frère Fulbert et frère Barthélémy inspectent la source elle-même et découvrent, enfouies sous la mousse, quelques vieilles dédicaces latines. Les anciens y font référence à “LUNA” et à la “VENATIO”. Plus prosaïque encore, ils trouvent un graffiti représentant un phallus doté de pinces, provoquant un commentaire de frère Fulbert sur la dépravation des antiques. Frère Isidore ne peut s’empêcher de souligner que certains frères dessinent des choses similaires, ce à quoi le circateur répond par un interrogatoire plus serré… hélas Isidore ne se rappelle plus vraiment qui à fait quoi…
Devant le faible résultat de leur investigation le Scriptorium redouble de méthode. Célestine compose un morceau de luth aux grotesques oisels, qu’elle suspecte d’être impliqués, Barthélémy fouille les berges suivi par un Herbert curieux, tandis que Isidore interpelle grenouilles et nénuphars et que frère Fulbert décide de prendre de la hauteur pour observer l’étang et grimpe dans un arbre.
C’est cette scène étrange que vient interrompre le visage furibond d’une femme jaillissant des fourrés. Couronnée d’un chapeau aux couleurs passées et brochées de nombreux hameçons, elle s’en prend au Scriptorium dont le chahut fait “fuir les poissons à des lieues à la ronde”. Frère Fulbert argue qu’ils passent un moment de “spiritualité” ensemble, mais la pêcheuse ne manque pas de lui rappeler qu’il serait mieux à l’église que perché dans un arbre pour y arriver. Elle étrille tout le monde à tour de rôle, mais le Scriptorium ne manque pas de relever qu’elle affirme que “de jour il ne se passe rien ici” mais que la nuit semble plus…agitée.
Après que Marguerite, la pêcheuse, ait fini par quitter les lieux non sans maugréer sur les “cinglés du monastère”, l’équipe décide de s’installer ici pour la nuit et prépare un feu de camp.
Au loin les bruits de l’homme s’éteignent doucement. Plus de marteau qui frappe dans les villages, plus d’échos des bateliers qui se hèlent sur la rivière, mais quelques aboiements solitaires qui saluent le coucher du Soleil dans un ciel incendié de gueules.
Et puis, timide, vient le chant d’une grenouille qui appelle la nuit. Le ciel se couvre peu à peu de Sables, et à chaque rainette qui se joint à la chorale une nouvelle étoile apparaît dans les nuées.
Lentement leur ballet scintillant se met en place, reflété sur les eaux calmes de l’étang. Tout juste un poisson ose-t’il, de temps en temps, gober une lumière et troubler son reflet d’une série d’ondes tremblantes.
Au coin du feu l’équipe se nourrit du fruit de leur pêche, alors que sœur Célestine entame la balade qu’elle a composé. Ses notes s’envolent gaiement en suivant les escarbilles du feu, jusqu’à la touche finale. Un long hurlement de chien ou de loup résonne alors dans la distance, semant l’effroi chez hommes et cochon. Le silence s’étend un peu avant que la nature ne se fasse à nouveau entendre.
L’étang est une scène vide piquée du reflet des étoiles. Sur ses berges on entend un public patient vaquer à ses occupations. Sous le couvert des fougères on remue l’humus du bec ou du nez, on se faufile à l’abri du feuillage, on renifle, on stridule, on coasse, on couine. A l’écoute de ce petit peuple la nuit semble sans fin, jusqu’à ce qu’enfin les cloches du monastère viennent sonner mâtines avec de longues notes graves.
Un pinceau de lumière argentée glisse alors sur la source pétillante, couronnée de vieilles pierres romaines. Lentement il éclaire l’étang alors que dans le ciel apparaît, triomphante, la Lune en berceau d’argent.
Là où porte son reflet, une bulle vient à éclater à la surface, rapidement suivie d’un chapelet complet. L’eau se met à bouillonner, à se soulever et enfin à se dérober sous la forme ronde et généreuse qui en émerge. Ruisselante, une large coquille ivoire et argent trône maintenant sous la lumière et commence à lentement s’ouvrir, révélant un éclat de lumière nacrée : une perle prodigieuse.

Frère Isidore et Célestine contemple l’Huître, alors que frère Fulbert et frère Barthélémy sont surpris par un lourd piétinement dans les sous-bois. Ecartant les fougères, un gros chien roux laisse tomber le charme qui protège sa véritable nature pour apparaître sous la forme d’une large bête azur à la gueule de dogue et à la queue de poissons : sans nul doute un homard !

Claquant des pattes à la manière de pinces en se dressant sur son séant, le Homard exulte devant les “Tondus et la coiffée”. Son plan crustacéen, consistant à écrire ses plus beaux poèmes pour attirer l’Huître, lui aura permis d’attirer l’attention du Scriptorium puis de le suivre jusqu’à l’objet de son désir. Éclatant d’un rire menaçant, il ordonne à Fulbert et à Barthélémy de s’écarter pour le laisser s’emparer du précieux coquillage.
Fulbert décide alors, selon une logique imparable, de frotter violemment la tonsure de frère Barthélémy afin que sa brillance égale celle de l’Huître. Ainsi le grotesque sera t-il fasciné et pourra t-il être enluminé !
La foire d’empoigne qui s’en suit ne sera pas dans les annales officielles de l’Ordre. Barthélémy, habitué à manipuler de lourds gigots en cuisine, s’empare de l’outrancier Fulbert et commence à lui poncer le crâne de la même façon, dans une scène surréaliste de frottage réciproque.
Que ce soit du à ce spectacle improbable ou au fait que le Homard a maintenant une vue directe sur l’Huître, le grotesque semble bien fasciné par la situation.
De leur côté Célestine et Isidore doivent choisir quel grotesque enluminer : l’Huître a l’air inoffensive alors que le homard sème le chaos dans la rivière. Ce sera donc lui qui retournera dans le Bestiaire ! Isidore choisit la couleur sinople alors que Célestine s’empare de l’azur, et tout deux tracent et colorient à grand train alors que le grotesque semble immobilisé. Si tout l’azur se détache bien du Homard pour retourner dans le Bestiaire, en une magnifique traînée de pigments, il n’est rien du sinople et le grotesque se met alors à s’extirper de sa torpeur.
Invectivant le Scriptorium pour son audace, il les menace de son implacable vengeance avant d’entamer une danse fatale. Sautillant d’une patte sur l’autre en agitant ses “bras” au-dessus de la tête, il se met à chanter “Pince-mi ! Pince-moi!” d’une voix éraillée mais hypnotique.
Les membres du Scriptorium sont subjugués par une telle démonstration, mais arrivent à puiser dans leur réserve d’encre féerique pour repousser l'irrésistible envie qui monte…à une exception. Alors que tous se consultant du regard pour évaluer la situation, frère Isidore ne répond qu’en se mettant à sautiller d’une jambe sur l’autre puis en sautant sur Fulbert pour le pincer de toutes parts. Une nouvelle mêlée s’en suit, tandis que soeur Célestine et frère Barthélémy reprennent les pinceaux : considérant la nature brutale du grotesque ils décident tout deux de choisir de peindre en Gueules. Les derniers pigments qui maintenaient l’image du Homard s’effritent alors et disparaissent en un tourbillon sonore et coloré dans le Bestiaire, qui se referme en un “clap”. Au même moment l’Huître disparaît dans les eaux au fracas d’un “plouf” homérique. Les remous apaisés ne laissent plus voir que le reflet de la Lune…
Epilogue
Le calme revient sur l’Esperluette, et la communauté ne craindra plus les poissons étranges ou les indigestions et pinceries - au moins pour un temps. La rumeur continuera bien de parler d’une lumière étrange, la nuit dans les marais et les rivières de la vallée…
Par ailleurs les membres du Scriptorium ont réussi à récupérer, à la disparition du Homard, un objet féerique - une sorte de serre-tête avec des antennes de crustacé - et un nouveau pouvoir de plumes, hérité du grotesque vaincu. Enfin chacun a un nouveau surnom, à la fois fait d’arme et quolibet, qui servira de mot clé bonus au personnage.
Frère Barthélémy sera “Cire-crâne”, en souvenir du ponçage de la tonsure de frère Fulbert.
Soeur Célestine sera “Sept d’un coup”, en référence aux moustiques qu’elle a écrasé avec le Bestiaire.
Frère Fulbert sera “Prêcheur perché”, pour immortaliser la scène où il a échangé avec Marguerite la pécheuse.
Frère Isidore, pour ses multiples méfaits, sera “Pince-fesses”.
Le Scriptorium est loin d’avoir fini ses mésaventures : alors que le chapitre général se réunit un page arrive en pleine assemblée. La poitrine frappée des armes de Sifflemerle, il annonce que la baronne souhaite récompenser l’abbaye au tournoi des trois merles. Il semblerait aussi qu’elle ait besoin d’une aide “particulière”...