vivien a écrit : ↑jeu. oct. 10, 2024 6:06 pm
tu pourrais développer un peu sur les analyses criminologiques ?
Je ne peux te faire qu'un résumé nécessairement incomplet - la criminologie est un champ d'étude qui rassemble de nombreux points de vue distincts (droit, médecine, sociologie, biologie, psychologie, psychanalyse, sciences économiques, philosophie, politique etc.) et souvent en désaccord.
On trouve néanmoins en général :
1. Un désir, une pulsion, une volonté de transgression qui sert de moteur
2. Une absence de barrière (le criminel recherche une occasion par lui-même) ou des barrières insuffisantes susceptibles d'être submergées si l'occasion se présente - ces barrières sont constituées par des normes morales et légales (peur du châtiment, pour faire court)
3. Une occasion qui entraine le passage à l'acte effectif.
Les points 1 et 2 ont donné lieu à de très nombreuses propositions d'explication, dont je vais donner quelques exemples plus ou moins actuels :
- L'existence de facteurs biologiques et/ou génétiques (L'homme criminel de Cesare Lombroso)
- L'existence d'une personnalité criminelle (caractérisée par l’égocentrisme, la labilité, l’agressivité et l’indifférence affective, selon Jean Pinatel, par exemple)
- L'influence du milieu familial sur la "formation" du criminel (on en a un peu parlé au dessus en évoquant les familles monoparentales) ;
- L'influence des facteurs sociaux, politiques et culturels ;
- Le calcul économique rationnel (je pense aux analyses de l'économiste Gary Becker) ;
L'anthropologie proposée par le féminisme radical en matière de VSS (qui est donc en soit une criminologie) est assez inspirée de la pensée d'Andrea Dworkin - dont l'influence me parait de plus en plus manifeste, mais je suis certain que
@Macbesse et moi auront l'occasion d'en parler - et nous permet de mesurer le gouffre qui existe dans l'interprétation (ou l'herméneutique

) du procès Pélicot.
Dans une perspective féministe radicale, cette affaire a été positionnée médiatiquement comme un preuve - et symbole - de la matérialité de concepts tels que la Culture du Viol ou du slogan "All Men" au prix (à mon humble avis) d'une lecture très distante de l'événement.
L'analyse plus approfondie du déroulement du procès, et notamment de l'examen de l'histoire personnelle et de la psychologie des accusés, d'une part, et de leur défense, d'autre part, dessine quelque chose de beaucoup plus complexe.
J'avais mentionné le mythe de Gyges rapporté par Platon dans la République. Il me paraît pouvoir illustrer très utilement l'affaire de Mazan.
Pour faire court, Glaucon, frère de Platon, raconte à Socrate l'histoire suivante : Gygès trouve l'équivalent de l'Anneau Unique, et profite de l'invisibilité que ledit Anneau lui donne pour assassiner le roi de Lydie et prendre sa place*
Glaucon en déduit, pour contredire Socrate, que le comportement criminel est nécessairement plus avantageux que la pratique de la justice, si les hommes et les Dieux n'en ont pas connaissance.
Dans notre procès, nous avons :
- Un homme dissimulateur d'une grande perversité, Dominique Pélicot, qui souhaite assouvir son candaulisme (cf après) et sans doute son désir de domination sur d'autres hommes (le premier de ces désirs étant probablement entrelacés avec l'autre) ;
- Une cinquantaine d'hommes de tous âges, présentant une construction psychologique carencée se traduisant a minima par une activité sur un site libertin (mais aussi par d'autres symptômes : pratiques libertines régulières, complexes personnels graves, alcoolisme, consommation de stupéfiants, hypersexualité, détention d'images pédopornographiques, et pour certains, délinquance voire criminalité violente)
- Le stratagème mis en place par Dominique Pélicot pour assommer son épouse.
Et donc, nous avons :
1. Des gens avec des désirs spécifiques et une personnalité fragile ;
2. Un situation qui correspond à l'Anneau de Gygès : ces gens se retrouvent placés dans une situation dans une situation où ils peuvent assouvir ces désirs en pensant que personne ne peut les voir - de fait, la victime, Gisèle Pélicot, ne sait même pas ce qu'elle a subi.
Une partie de ces hommes n'aurait probablement commis aucune infraction s'ils n'avaient pas été confrontés à cette situation - et c'est d'ailleurs ce qu'ils essaient de dire lorsqu'ils prétendent avoir été
"manipulés".
Cette défense n'est, bien entendu, pas exonératoire - et ce que les vidéos montrent d'une façon extrêmement crue, c'est le délabrement de leurs propres personnalités.
Le procès ne révèle donc pas l'existence du Patriarcat Criminel, mais vient conforter quelques observations vieillottes sur l'homme.
J'en profite pour vous conseiller les LT de Marion Dubreuil (RMC), de Juliette Campion (France Info), de Justine Chevalier (BFMTV) et de Noémie Schulz (France TV). En combinant les quatre (elles ne sont pas toujours là en même temps), j'ai l'impression d'être dans la salle d'audience ou dans la salle de retransmission - ce qui permet d'avoir à la fois le procès... et le ressenti des spectateurs.
* De façon tout à fait intéressante, cette histoire est racontée de façon un peu différente par Hérodote : Candaule, Roi de Lydie, avait le désir que Gygès puisse voir la Reine nue. Cette dernière furieuse, demande à Gygès de l'assassiner et de prendre sa place, ce qu'il fait. En référence à cette histoire, la pratique sexuelle dans laquelle une personne ressent une excitation sexuelle en exposant ou partageant son conjoint avec une ou plusieurs personnes a été appelée candaulisme - et manifestement Dominique Pélicot en est un pratiquant assidu.