Beyond the Pale, de Yochai Gai, édité par Paolo Greco
2.) Vous en avez entendu parler où pour la première fois ?
Après avoir acheté Wulfwald, je crois que j'avais reçu une notification de Kickstarter.
3.) Achat compulsif, impulsif ou réfléchi ?
Je comprends pas cette question. Le thème m'intéressait, c'est rare les environnements qui parlent du folklore juif, en plus wulfwald était de qualité, j'avais confiance en l'équipe d'édition, et l'auteur.
4) Ce que vous pensiez y trouver ?
Un "module", dans le sens un bac à sable mais aussi de quoi se saisir du contexte et des éléments de folklore pour habiller d'autres histoires. Il y a une phrase qui a retenu mon attention dans la présentation :
"It explores themes of oppression and persecution alongside hope and love, set against a backdrop of idyllic country life."
Et je me suis demandé comment ça allait exploiter ces thèmes, à mes yeux il y a toujours un risque d'en faire trop (ce qui est tout à fait légitime hein, a foriori puisque l'auteur nous parle de lui en fait avec ce module) et que ça me fasse décrocher. Surtout, pour du bac à sable, je me demande comment le module ne tomberai pas dans l'écueil d'un "pilotage" des évènements dans l'optique de mettre en concurrence les deux couples "oppression/persécution" et "hope/love".
5) Ce que vous y avez trouvé ?
C'est un livre d'une centaine de page, avec une jolie couverture en tissu, format A5, et des PDF avec (ça s'achète sur le site de Paolo Greco, The Lost Page, pour 25£). C'est pour Cairn initialement, mais il y a une conversion des données techniques pour OSE.
La cible du produit : des fans d'OSR, mais pas nécessairement pour du donjonning, et des gens intéressés par le folklore juif, puisque c'est le bain du setting. C'est un sandbox, on peut avoir pas mal de choses à y faire, mais j'en dis plus plus tard.
Et pas vraiment ce que je m'attendais à y trouver, mais c'est pas bien grave. Donc en fait c'est "juste" un sandbox, mais je le trouve vraiment pas mal du tout.
Coutumier de la lecture bête et méchante, je fais comme d'habitude, je vais présenter le module en dépilant, attention aux spoilers si un jour vous voulez y être joueurs. Mais je vais faire un peu attention aussi, et c'est pas bien grave de connaitre le "calendrier" (c'est un très mauvais mot, on va dire les horloges)
Donc on commence par nous montrer le terrain de jeu sur une double page, c'est un terrain sur une région pas très grande, pas de hex ici, c'est dessiné à la main, c'est rudimentaire et c'est très bien ainsi, ça donne un ton, tout de suite.
On nous résume le contexte de l'aventure ensuite : tout va se passer dans cette petite région, isolée, et va être centré sur une petite communauté dans laquelle un schisme s'opère entre les porteurs de la tradition et ceux qui penchent vers la modernité. Les PJ seront des visiteurs, au mieux, mais ils peuvent avoir des liens avec les locaux. Je dois dire que cette approche me semble contre-productive mais je m'expliquerai ensuite (et je ne vais pas m'empêcher d'expliquer ce que je ferai pour la mener.) Et puis on nous dit, cette aventure se situe durant une célébration religieuse qui dure une semaine, et il va falloir enquêter, résoudre des mystères et être plus malin que l'adversaire. On nous explique une légende très simple pour savoir si les données exposées dans les pages qui vont suivre sont secrètes ou non (soit il y a un rond et on le dit aux PJ, soit ils doivent au minimum s'y intéresser activement et dans ce cas y a un ptit signe = barré).
On nous raconte un peu de contexte historique aussi, notre région fictive se situe dans un dérivé d'un endroit nommé The Pale of Settlement, qui a existé entre 1791 et 1917 dans l'empire Russe, et dans laquelle on parquait les juifs et on faisait des pogroms assez régulièrement. Aussi, les juifs de là bas se regroupaient en communautés liées à un commerce relatifs au coin ou ils étaient, des shtetls. Ici le notre est tout petit, mais d'après Wikipedia, ça pouvait aller jusqu'à 20000 personnes, bref, je suis pas historien, je sais pas de quoi je parle, je trouve juste que ça pose un ton. On est là parce qu'on est ostracisé. Se pose déjà pour moi la question des PJ visiteurs : ce sont des gens de l'empire ? Si oui que font ils là ? Si non pourquoi voyagent ils dans ce shtetl ? On aura des propositions bientôt.
L'histoire de la communauté et à la suite la chronologie de l'aventure :
- Il y a 30 ans, la communauté s'est installée entre la Forêt Bleue (à cause de chose qui font des lumières bleues la nuit) et le Mirroir (le nom d'un fleuve qui contient plein de métaux et qui reflète la lumière), ils ont posé bagage et ont appellé leur shtetl Kest, et deux ans plus tard, tous les adultes étaient morts : la région était le turf d'une bande d'esprits malveillants (les Mazziks), et ils ont quasiment buté tous les adultes, mais grace à une créature de la forêt (un(e?) Estrie), ils ont fait cramé les Mazziks, sauf que ceux là ont fait en sorte que tous les adultes sauf un meurent avec eux dans le feu. Ambiance. On appelle ça le Fléau de l'Aube, car ils attaquaient généralement à l'aube. Sacré héritage pour ceux qui restent. Avant que je passe à la suite, je précise que tous les termes folkloriques sont décrits dans les marges, et qu'il y a un glossaire à la fin, avec le pdf on peut se l'imprimer pour s'y référer, c'est bien foutu.
- Il y a 12 mois, le bientôt nouveau chef des réligieux (parnas) négocie un contrat avec la holz Company pour qu'ils viennent prendre du bois dans la forêt en échange d'argent, et ça créé de la tension, si bien que les plus radicaux construisent en secret un temple souterrain pour appeler le divin et lui demander d'arrêter cette hérésie.
- Lundi : les religieux ont créé un golem et on ouvert un passage vers l’autre monde, mais ça a appelé un genre de fantôme qui possède les êtres, qui a pris possession du golem et a tué deux disciples avant de pouvoir être désactivé. Le chef des conservateurs a scellé l'entrée mais n'a pas pu refermer le chemin vers l'autre monde.
- Mardi : une créature pire va trouver la porte de l'autre monde, et son but va désormais être de venir dans la région afin d'inséminer une femme enceinte. Le fantôme va prendre possession d'un innocent et en tuer un autre.
- Mercredi : les PJ débarquent
- Jeudi : si les PJ ne font rien, une créature nommée Keresh-Tigris va débarquer, hurler, et l'esprit qui a protégé la communauté il y a 30 ans va fuir, non sans prévenir un habitant de la région qu'on est très susceptible de croiser
- Vendredi : le jour du Souvenir démarre, pour commémorer les morts du Fléau de l'Aube, et c'est là que le fantôme va débarquer dans le shtetl pour faire un carnage, tandis qu'un genre de sorcière va terminer de creuser un tunnel vers le temple des intégristes et balayer le sel qui, à défaut de fermer définitivement la porte vers l'autre monde, la scellait. La créature qui est arrivée mardi va pouvoir sortir
- Samedi : la créature raye la région de la carte dans un affrontement avec Keresh-Tigris.
On nous donne de quoi repérer le fantôme (il laisse des traces sur son passage, notamment le fait que ce qu'il utilise et qui réfléchit la lumière ne réfléchit plus les êtres vivants)
Voilà, avant de passer à la suite, je dois dire que j'aime beaucoup :
- c'est concis (j'ai presque autant écris que le module
- c'est tragique
- la menace est assez violente, et je trouve le côté mystique et appeurant bien rendu
Petit bémol quand même : faire arriver les PJ le mercredi pour sauver la région le samedi, ça me semble "court" et j'ai l'impression qu'en fait le module a vocation à être réutilisé avec plusieurs groupes, voir le même, parce qu'il y a beaucoup, beaucoup de matière ensuite.
Mais personnellement je ferais différemment.
Bref, ensuite, on passe aux accroches, il y en a 4 :
- les PJ sont embauchés par la Holz Company pour comprendre les troubles qui secouent les forces productives qu'ils emploient. C'est excessivement trop rémunéré d'ailleurs (l'équivalent de 1000 PO (Groschen ici) pour calmer des pécores qui coupent du bois, ça a l'air excessivement rentable cette entreprise

- les PJ viennent en tant que travailleurs, et là ils se font agresser par des religieux et c'est le prochain chef religieux qui leur demande de l'aide (même tarif, ça rapporte le culte dans une région isolée...)
- un PJ est un ami, voir de la famille d'Ella, tenancière de la taverne, qui cherche son époux Karl, pas rentré depuis quelques jours (il a été tué par le possédé).
- un mystérieux groupe d'érudits a mandaté les PJ pour récupérer un livre, le Book of the Night Wanderer, qu'on suppose en possession du leader religieux réac.
J'aime pas la première ni la dernière accroche, ça fait trop cheveux dans la soupe pour moi, et je pense qu'on pourra pas exploiter beaucoup le bouquin - surtout si on se conforme au calendrier. Mais d'un autre côté, ça peut expliquer les aventuriers fourre-tout qui n'en ont pas grand chose à faire des gens sur place. Je trouve ça juste dommage car la section suivante, le Dramatis Personae, donne furieusement envie de mettre en scène le shtetl et ses différents membres - 14 personnages juste pour le village.
D'ailleurs continuons, ces 14 personnages, il ont tous des "secrets" au sens très large (certains ont vu quelque chose et n'ose pas le dire, pour ne pas provoquer plus de tensions, d'autres ont des intentions secrètes,) d'autres des objectifs avoués et révélés, et on voit vite avec chacun comment le mettre en scène, d'autant que tout est circonscrit à ce qu'il faut savoir (assorti d'une courte description physique bien suffisante). Selon les accointances des personnages et la raison de leur venue, chaque personnage est un lanceur d'intrigue et une possibilité de rebond en cas de panne d'idée, c'est simple et rien ne dévoile facilement le pot aux roses sans non plus rendre la tâche absolument impossible pour les joueurs qui veulent démêler l'intrigue.
Histoire de bien jouer avec ces personnages, on nous décrit lieu par lieu le shtetl dans les 12 pages qui suivent, avec pour chaque lieu ce qu'on peut trouver comme indice (d'un simple coup d'oeil,) selon l'heure ou le jour, qui est là et pourquoi, façon coureur d'orage (on dit ce qu'il faut savoir, pas plus pas moins) et on ajoute la fonction de chacun de ces lieux qui ont tous un sens dans le mystère et l'intrigue - que ce soit dans le thème (hé oui: on a une communauté religieuse, et l'un des enjeux c'est de mettre en scène le lore et le folklore juif) et dans la place que les indices auront vis à vis de l'endroit ou on le trouve
La forêt bleue, ensuite, à cette particularité qu'on y a des visions, mais qu'on peut rencontrer l'esprit protecteur de la région, Zina, une Estrie donc, soit un être vampirique qui peut se monter sous des traits humanoïdes ou de chouette, et qui peut aider les PJ s'ils montrent de bonnes intentions mais pas que, des actes aussi, et ça tombe bien parce qu'il y a une cabane dans la forêt ou ils peuvent en apprendre sur une partie du mystère, mais pas que. Par exemple, l'âme d'une personne est prisonnière d'un arbre et l'en libérer amènera de belles scènes et de probables interactions avec son frère, qui peuvent lui faire baisser sa garde. Ou encore le commerce avec un peuple d'hommes-branches qui alimente secrètement la taverne de la ville en alcool. Bref je dis pas tout, mais il y a 5 lieux dans la foret, et ils promettent tous de belles scènes.
Je vais abréger un peu, il y a sur la carte ensuite un observatoire, une colline, une baraque, un cimetière d'une grosse créature, un pont qui permet de traverser le fleuve Mirroir, et tout vaut le passage et suit ce que j'ai décrit précédemment, on nous dit ce qu'il faut, la visite change la donne d'une façon ou d'une autre, et tout cela enrichit à chaque fois l'interaction entre les parties du bac à sable. J'en profite aussi pour rappeler que c'est écrit pour Cairn, et que ça ne rigole pas du tout niveau adversité, il faudra réfléchir avant de taper.
Cela dit, tout est mortel, mais tout à un point faible. Il faudra bien veiller à ce que le MJ transmette cette ambiance mystique et religieuse ou du sel peut ruiner une créature ou la rendre inoffensive. Ce n'est pas évident à la lecture, on y est pas guidé, les choses sont ainsi et voilà. Malgré cela, comme tout le supplément immerge là dedans, je pense qu'on peut y trouver des pistes, même si pour moi la plus évidentes est de créer des personnages non qui arrivent comme des inconnus, mais des gens qui vivent dans la communauté (et là les accroches 2 et 3 me semblent indiquées). Ainsi on est face à des PJ qui s'ils n'ont pas du tout toutes les infos nécessaires, ont un pied dedans à mes yeux pas tombé du camion pour aller les chercher.
Bref, j'arrête ces digressions pour passer aux ruines, et au donjon qui s'ensuit. Là on est dans les endroits ou on risque de croiser les pires dangers (qui n'ont d'ailleurs pas toujours la forme de créatures). Par exemple, on croise un Se’irim (un bouc-émissaire, en gros), qui va se repaitre du fait de raconter ses péchés, et peut raconter ceux des personnes qui le lui en confié. S'il meurt, le paysage de la région va changer, et le prochain bouc relâché dans la nature dans la région prendra sa place en quelques jours. Il y a des dangers plus direct, mais pas que, et à chaque fois ils ont une raison d'être, et c'est tout à fait pareil dans le donjon sous-terrain (qui rappellera évidemment quelque chose aux kabbalistes de Nephilim ou aux gens cultivés), c'est intelligent, on a des choses à y trouver, peu de temps pour y faire des aller retours (je pense qu'il est fait pour se limiter à un seul aller retour si on s'intéresse vite aux ruines vu le calendrier), et on a l'opportunité de vraiment changer la donne tout en étant toujours dans ce bain culturel diffus, bien présent et en même temps qui ne nous dit pas en permanence ce qu’on doit en penser.
Je dis souvent mal les choses alors je reformule mais en spoiler parce que c'est un avis tout à fait arbitraire, un ressenti
D'ailleurs je me rends compte que je n'ai pas parlé des quelques artefacts et monstres, mais en gros, pour les derniers, ils sont proprement terrifiants, qu'ils soient bons, neutres ou mauvais. Même l'esprit de la région, trouver son antre devrait mettre les PJ sur leurs gardes, il y a plein de cadavres de bêtes qui y pourrissent et c'est bien normal, cette créature est bien au dessus du fait de ranger son terrier. Les créatures ne rigolent pas, et on comprend que chaque chose est une Puissance avec laquelle il faut du tact, de la réflexion, on risquerait de perturber quelque chose – et tout est présenté ainsi. Les menaces sont le déséquilibre. Chaque chose compte en fait. Et les objets "magiques" eux, sont toujours porteur d'un équilibre. Chaque gain qu'ils apportent est compensé, rien n'est "gratuit" en fait. Par exemple, un couteau donne le pouvoir de toujours viser juste avec, mais chaque coup ajoute de l'épuisement à celui qui s'en sert. Tout est comme ça. On comprend à travers ces objets qu'il y a un équilibre, et que le rompre, c'est s'exposer à faire pencher la balance d’un côté et tout foutre en l'air. C'est une déduction personnelle sorti de mon nez, encore une fois, hein. Mais en l'état, j'ai l'impression que cela fait partie des choses implicites que l'auteur veut transmettre, et qu'on le prend aisément en nous à la lecture.
Voilà en gros ce que j'ai trouvé. Bref vous l’avez compris, prenez mon avis avec des pincettes, je venais chercher un jeu de rôle j’y ai visiblement trouvé un peu plus, c’est sûrement personnel. Mais tout ce que je dis sur le gameplay induit et sur la qualité du bac à sable, je pense sincèrement que ça se détache de ce ressenti, que c’est juste du super bon taf.
6) A qui en recommanderiez vous l'acquisition.
N'importe qui qui aime l'exploration, l'interaction, l'ambiance mystique forte sans être criée pour autant. Ceux qui apprécient ou veulent découvrir la culture juive par une entrée ludique. Et puis bon il faut pas avoir peur que ça se termine mal ou à moitié bien.
Je remets quelques bémols toutefois :
- la chronologie de l'aventure est très courte, soit on sait la doser comme dit, soit il me semble qu'il peut être intéressant de la rallonger (commencer avant le début de la semaine de commémoration, par exemple) afin de ne pas avoir l'impression de survoler le livre. Sauf à compter la remener, en one shots ou en très courtes campagnes de 3 sessions peut-être.
- de la même façon et pour la même raison, il me semble intéressant de proposer aux joueurs d'être ancrés dans ce setting, et il y a bien des façons d'y arriver. Par exemple, les trois peuvent avoir grandi à Kest, avoir des avis différents mais une amitié indéfectible, peut-être même qu'on peut leur introduire un secret lié à notre histoire, enfin voilà, avec la banque de PNJ, il y a quelque chose de très personnel à faire, ce supplément il dégage une intimité charmante à mes yeux, sans jamais verser dans l'impudeur.
- aussi il faut se familiariser avec le vocabulaire pour rendre l'ambiance je crois, mais il y a un glossaire et le supplément n'est pas très grand, je pense que ça se fait bien, du coup je retire ce bémol en fait

Voilà pour le reste c'est du tout bon, et ça change vraiment des trucs edgy trodark tout en sachant rester inquiétant, j'ai vraiment aimé.
7) Allez vous vous en servir (et surtout quelle que soit la réponse, pourquoi ?)
Oui, pour toutes les raisons dites au dessus. Au plus tard l'an prochain dans une convention, en mode one shot (oui oui, celui que je décrie plus haut ^^), mais il est en haut de mon shuffle des campagnes à jouer.