Re: Game-design sur Memento Ludi : L'Ombre du Donjon
Publié : ven. nov. 02, 2018 11:38 pm
La dernière séance jouée par les Martyrs de Mont-Grésil a amené pas mal de progrès, mais aussi des questions sur les scénarios...
Pour résumer, après que j'ai précédemment attiré leur attention sur l'aspect "d'enquête" de L'OdD et proposé explicitement qu'ils emploient leur prochaine scène de Bivouac pour croiser leurs indices et tenter de comprendre le-pourquoi-du-comment, les joueurs ont accepté et on a donc consacré la moitié de la session à reconstituer l'histoire du donjon.
Ça ne fût pas très difficile après qu'ils aient commencé à réfléchir ensemble : en examinant les indices déjà accumulés dans leur Carnet de Route, en posant eux-mêmes les bonnes questions et en faisant quelques jets de réflexion pour leurs perso ("mental", érudition, observation... chaque Succès leur permettant de poser une question spécifique au MJ), ils ont peu à peu dévoilé les origines du donjon, compris la plupart des "bizarreries" qu'ils avaient négligées jusque là et, a posteriori, la plupart des joueurs semblent avoir apprécié l'exercice.
(Je viens de leur expédier un p'tit questionnaire pour tâcher de comprendre comment je pourrais améliorer et mieux inciter cet aspect du jeu, après quoi les "Dogues de Sombreroche" testeront les modif'.)
On a ensuite enchaîné avec la grosse bagarre de fin d'acte 2, et les joueurs y ont fait preuve d'une réflexion tactique qui non seulement les a bien aidé (ils ont vaincu en subissant remarquablement peu de dommages), mais a permis d'exploiter la "souplesse" des mécanismes de Confrontation. Parce que c'était leur choix stratégique, ils ont en effet géré ce combat sous la forme d'une sorte de "tower defense" assez ludique, et affronter les ennemis par vagues successives a probablement sauvé la peau de nos mercenaires.
Au final, ils ont suffisamment rattrapé le coup pour être en bien meilleure position d'attaquer l'acte 3, et leur aventure a donc retrouvé (à peu près) l'équilibre que j'espérais au départ.
Néanmoins, donc, tout ça suscite pas mal de questions sur la conception des scénarios pour ce jeu, la première étant "est-ce que je ne me serais pas gravement compliqué le travail ?" (réponse : "si, comme d'hab'...").
Donjon multi-couches
L'OdD est bien un dungeon-crawl mais, très tôt dans le développement, j'ai voulu lui insuffler d'autres dimensions qui compliquent nettement le principe.
D'abord parce que, en lui collant une attrition assez sévère, j'en ai fait un jeu vraiment difficile : l'échec n'y est pas seulement possible, il est même probable et les joueurs doivent déjà se démener pour l'éviter (1). Ce qui réduit de fait leur "temps de cerveau disponible" pour d'autres aspects, y compris la narration et l'enquête : il faut vraiment que je me méfie de la "perte de signal" que ça engendre, spécialement quand je planque le récit sous une couche d'enquête.
Ensuite, toute la mécanique d'Ombre et de Damnation ajoute déjà des complications morales tant à la narration qu'aux enjeux ludiques et, parce que je voulais multiplier ces derniers, j'ai encore ajouté des éléments "interactifs" aux donjons qui lorgnent du côté du level design en générant diverses énigmes et problèmes à résoudre. Mon jeu n'est donc pas seulement difficile, il est complexe : ce n'est pas mauvais en soi, mais ça réclame d'être très didactique, spécialement dans les premières missions. Et là, clairement, j'ai voulu trop en faire trop tôt : il faut délayer, et adoucir la pente d'apprentissage.
Finalement, je me suis surtout compliqué la tâche en voulant produire des donjons assez cohérents pour qu'ils puissent être compris et renseigner les joueurs sur la nature du monde (2), mais assez narratifs pour raconter des histoires par l'environnement ou le butin (merci Dark Souls). Tout ça en restant sur un plan schématique pour respecter le mécanisme d'orientation suivant les victoires et défaites (si l'Escouade gagne elle progresse droit vers le but, sinon elle fait un détour).
Hé ben c'est pas simple à concevoir, parce que j'ai aussi besoin de rendre tout ce merdier assez "facile d'accès" pour que les joueurs et MJ s'y retrouvent. Il ne me suffit donc même plus d'arriver à nouer correctement toute ma pelote de fils ludo-narratifs, il faut encore que le nœud soit bien serré et les boucles assez larges pour que d'autres puissent s'en saisir et jouer avec sans trop avoir à se préoccuper de la complexité intrinsèque du nœud, ni risquer qu'il se défasse à l'usage.
Honnêtement, il y a encore 6 mois, je pensais qu'il me suffirait de 4-5 pages pour expliquer aux MJ comment créer leurs propres donjons sur ces bases : je n'y crois plus du tout. Je ne suis même pas sûr de réussir à faire tenir ces explications dans le bouquin de la campagne. Je peux toujours faire un pdf à part mais ça me ferait un peu chier parce que c'est quand-même un outil trop essentiel pour être reléguer dans les "annexes"...
Avant cela, je dois surtout rationaliser la conception de donjons en une méthodologie fiable à mon propre usage, déjà. Les ratages de la première mission d'initiation ont révélé que la méthode n'était pas au point : les grands principes s'emboîtent à peu près, mais l'accessibilité aux joueurs réclame encore pas mal d'efforts de didactisme.
Par exemple, avec la première Escouade, j'ai vraiment échoué à leur signaler l'existence d'un mystère, puis à attirer leur attention sur ce qui faisait sens dans le premier acte, pour mieux souligner ce qui était "curieux" dans le deuxième et méritait qu'ils réfléchissent. Je pense avoir trouvé quelques solutions (que je commence à tester avec les Dogues de Sombreroche), mais il faudra quand-même grandement améliorer la présentation de la mécanique d'investigation : l'équipe des Martyrs a vraiment pâti de mal comprendre comment fonctionnait les Indices → Pistes → Directions, à commencer par "quelles infos ont valeur d'Indices".
Même problématique concernant les énigmes et puzzles : il faut que je travaille beaucoup plus à "lisser la pente" des puzzles d'initiation dans l'acte 1 vers les challenges autrement plus exigeant des actes 2 et 3.
Je ne renonce à aucune de mes ambitions, pour l'instant : toutes servent le genre de dungeon-crawl que j'ai envie de produire, et de mener. Mais il faudrait vraiment que j'apprenne à me méfier de mes exigences parce que, si je m'accorde pleinement le droit d'aimer les trucs compliqués, il faut que j'arrête de croire qu'ils ont être simples à construire.
1) Cette difficulté est évidemment allégée dans les missions "d'initiation", où les ennemis sont à la fois relativement faiblards et plutôt bêtes (les joueurs peuvent donc prendre l'avantage avec des tactiques assez simples), le butin généreusement répandu partout et la résolution de problèmes grandement facilitée par le fait que des PNJ-intellos aient laissé des notes derrière eux.
Néanmoins, ça n'a pas empêché les Martyrs débutants d'en prendre plein la gueule avant de comprendre comment tout ça marchait : méfiance, donc.
2) En particulier, le glissement progressif vers des espaces assez "non-euclidiens" (et l'effet cauchemardesque qui l'accompagne) n'est vraiment sensible que s'il se produit à partir d'un espace manifestement logique. J'ai donc vraiment besoin que les joueurs prennent le pli de réfléchir aux donjons dès les premières missions, pour qu'ils puissent se raccrocher à cette réflexion lorsque l'espace va devenir très "métaphorique".
Pour résumer, après que j'ai précédemment attiré leur attention sur l'aspect "d'enquête" de L'OdD et proposé explicitement qu'ils emploient leur prochaine scène de Bivouac pour croiser leurs indices et tenter de comprendre le-pourquoi-du-comment, les joueurs ont accepté et on a donc consacré la moitié de la session à reconstituer l'histoire du donjon.
Ça ne fût pas très difficile après qu'ils aient commencé à réfléchir ensemble : en examinant les indices déjà accumulés dans leur Carnet de Route, en posant eux-mêmes les bonnes questions et en faisant quelques jets de réflexion pour leurs perso ("mental", érudition, observation... chaque Succès leur permettant de poser une question spécifique au MJ), ils ont peu à peu dévoilé les origines du donjon, compris la plupart des "bizarreries" qu'ils avaient négligées jusque là et, a posteriori, la plupart des joueurs semblent avoir apprécié l'exercice.
(Je viens de leur expédier un p'tit questionnaire pour tâcher de comprendre comment je pourrais améliorer et mieux inciter cet aspect du jeu, après quoi les "Dogues de Sombreroche" testeront les modif'.)
On a ensuite enchaîné avec la grosse bagarre de fin d'acte 2, et les joueurs y ont fait preuve d'une réflexion tactique qui non seulement les a bien aidé (ils ont vaincu en subissant remarquablement peu de dommages), mais a permis d'exploiter la "souplesse" des mécanismes de Confrontation. Parce que c'était leur choix stratégique, ils ont en effet géré ce combat sous la forme d'une sorte de "tower defense" assez ludique, et affronter les ennemis par vagues successives a probablement sauvé la peau de nos mercenaires.
Au final, ils ont suffisamment rattrapé le coup pour être en bien meilleure position d'attaquer l'acte 3, et leur aventure a donc retrouvé (à peu près) l'équilibre que j'espérais au départ.
Néanmoins, donc, tout ça suscite pas mal de questions sur la conception des scénarios pour ce jeu, la première étant "est-ce que je ne me serais pas gravement compliqué le travail ?" (réponse : "si, comme d'hab'...").
Donjon multi-couches
L'OdD est bien un dungeon-crawl mais, très tôt dans le développement, j'ai voulu lui insuffler d'autres dimensions qui compliquent nettement le principe.
D'abord parce que, en lui collant une attrition assez sévère, j'en ai fait un jeu vraiment difficile : l'échec n'y est pas seulement possible, il est même probable et les joueurs doivent déjà se démener pour l'éviter (1). Ce qui réduit de fait leur "temps de cerveau disponible" pour d'autres aspects, y compris la narration et l'enquête : il faut vraiment que je me méfie de la "perte de signal" que ça engendre, spécialement quand je planque le récit sous une couche d'enquête.
Ensuite, toute la mécanique d'Ombre et de Damnation ajoute déjà des complications morales tant à la narration qu'aux enjeux ludiques et, parce que je voulais multiplier ces derniers, j'ai encore ajouté des éléments "interactifs" aux donjons qui lorgnent du côté du level design en générant diverses énigmes et problèmes à résoudre. Mon jeu n'est donc pas seulement difficile, il est complexe : ce n'est pas mauvais en soi, mais ça réclame d'être très didactique, spécialement dans les premières missions. Et là, clairement, j'ai voulu trop en faire trop tôt : il faut délayer, et adoucir la pente d'apprentissage.
Finalement, je me suis surtout compliqué la tâche en voulant produire des donjons assez cohérents pour qu'ils puissent être compris et renseigner les joueurs sur la nature du monde (2), mais assez narratifs pour raconter des histoires par l'environnement ou le butin (merci Dark Souls). Tout ça en restant sur un plan schématique pour respecter le mécanisme d'orientation suivant les victoires et défaites (si l'Escouade gagne elle progresse droit vers le but, sinon elle fait un détour).
Hé ben c'est pas simple à concevoir, parce que j'ai aussi besoin de rendre tout ce merdier assez "facile d'accès" pour que les joueurs et MJ s'y retrouvent. Il ne me suffit donc même plus d'arriver à nouer correctement toute ma pelote de fils ludo-narratifs, il faut encore que le nœud soit bien serré et les boucles assez larges pour que d'autres puissent s'en saisir et jouer avec sans trop avoir à se préoccuper de la complexité intrinsèque du nœud, ni risquer qu'il se défasse à l'usage.
Honnêtement, il y a encore 6 mois, je pensais qu'il me suffirait de 4-5 pages pour expliquer aux MJ comment créer leurs propres donjons sur ces bases : je n'y crois plus du tout. Je ne suis même pas sûr de réussir à faire tenir ces explications dans le bouquin de la campagne. Je peux toujours faire un pdf à part mais ça me ferait un peu chier parce que c'est quand-même un outil trop essentiel pour être reléguer dans les "annexes"...
Avant cela, je dois surtout rationaliser la conception de donjons en une méthodologie fiable à mon propre usage, déjà. Les ratages de la première mission d'initiation ont révélé que la méthode n'était pas au point : les grands principes s'emboîtent à peu près, mais l'accessibilité aux joueurs réclame encore pas mal d'efforts de didactisme.
Par exemple, avec la première Escouade, j'ai vraiment échoué à leur signaler l'existence d'un mystère, puis à attirer leur attention sur ce qui faisait sens dans le premier acte, pour mieux souligner ce qui était "curieux" dans le deuxième et méritait qu'ils réfléchissent. Je pense avoir trouvé quelques solutions (que je commence à tester avec les Dogues de Sombreroche), mais il faudra quand-même grandement améliorer la présentation de la mécanique d'investigation : l'équipe des Martyrs a vraiment pâti de mal comprendre comment fonctionnait les Indices → Pistes → Directions, à commencer par "quelles infos ont valeur d'Indices".
Même problématique concernant les énigmes et puzzles : il faut que je travaille beaucoup plus à "lisser la pente" des puzzles d'initiation dans l'acte 1 vers les challenges autrement plus exigeant des actes 2 et 3.
Je ne renonce à aucune de mes ambitions, pour l'instant : toutes servent le genre de dungeon-crawl que j'ai envie de produire, et de mener. Mais il faudrait vraiment que j'apprenne à me méfier de mes exigences parce que, si je m'accorde pleinement le droit d'aimer les trucs compliqués, il faut que j'arrête de croire qu'ils ont être simples à construire.
1) Cette difficulté est évidemment allégée dans les missions "d'initiation", où les ennemis sont à la fois relativement faiblards et plutôt bêtes (les joueurs peuvent donc prendre l'avantage avec des tactiques assez simples), le butin généreusement répandu partout et la résolution de problèmes grandement facilitée par le fait que des PNJ-intellos aient laissé des notes derrière eux.
Néanmoins, ça n'a pas empêché les Martyrs débutants d'en prendre plein la gueule avant de comprendre comment tout ça marchait : méfiance, donc.
2) En particulier, le glissement progressif vers des espaces assez "non-euclidiens" (et l'effet cauchemardesque qui l'accompagne) n'est vraiment sensible que s'il se produit à partir d'un espace manifestement logique. J'ai donc vraiment besoin que les joueurs prennent le pli de réfléchir aux donjons dès les premières missions, pour qu'ils puissent se raccrocher à cette réflexion lorsque l'espace va devenir très "métaphorique".